mardi 10 mars 2009

L'ORDRE DU MONDE [carnets]... conclusions

Photographie: Jessica B. Pinard

Semaine stimulante. Enivrante. Épuisante mais si pleine de constats, de réflexions, de questions... D'ailleurs, quelles sont les conclusions à tirer de ce projet?

Quelques mots sur le processus

À la base, il s'agissait de travailler de façon intensive - de mettre un texte nouveau à l'épreuve - avec une équipe interdisicplinaire pour faire de l'exploration, de la recherche sur le vide... ce vide qui sera si difficile par la suite à définir. Et qui peut-être aura aussi un peu faussé et la création, et le débat...

Si le travail intensif, un peu à l'instar du sprinter, permet un investissement total, concentré, de tous les participants... il réduit, en même temps, l'écart et obstrue, en quelques sortes, la prise de recul. Par ailleurs, s'il met de côté le doute, il laisse toutefois bien de la place pour les questionnements. Un positif teinté de négatif... ou vice-versa.

La courte période allouée pour la création est vite apparue insuffisante pour aborder la partie exploratoire (et de recherche) interdisciplinaire... Dans un cadre de «recherche de la recherche», ç'aurait été possible. Dans le cadre d'une recherche d'ordre scénique et textuelle, c'était impensable. Les heures qui passaient rapidement servaient tout juste à la mise en place du contexte de représentation (espace, direction d'acteur, analyse du texte, etc.). Pour en arriver à l'objectif premier, il nous aurait fallu ou bien se lancer directement dans le sujet ou bien d'avoir une seconde semaine pour justement tester, confronter, approfondir, remettre en cause cette mise en scène.

Définitivement, il s'agit (la résidence intensive) d'une formule vraiment intéressante qui demande peut-être un meilleur encadrement, une meilleure définition d'objectifs, mais qui vaut aussi la peine d'être développée (particulièrement le volet visiteurs en cours de création)...

Ce qui différencie le plus ce spectacle de mes productions antérieures (et qui pourrait modifier mes actions futures) serait la façon de travailler...

D'emblée, je fais généralement de la mise en place... de la chorégraphie.

Cette fois, vu le temps et la complexité du texte, j'ai dû faire de la mise en bouche - de la véritable direction d'acteur - pour une mise en scène qui ne répondait pas à une plastique mais plutôt à un état. Il faut dire aussi qu'une large place a été faite à l'aléatoire (dont le canevas de base du dimanche matin...) et à l'improvisation gestuelle. Continuerai-je dans cette direction? Je l'ignore... à voir au prochain rendez-vous...

Quelques mots sur le(s) texte(s)

Souvent, dans les commentaires, la question du lien entre les deux textes fut posée. Pourquoi les accoler l'un à l'autre? De prime abord, il s'agit bel et bien de deux textes différents qui sont séparés et autonomes sur le papier. En tant qu'auteur, j'ai toujours soutenu et cru au fait que chacun parlait, sur un mode différent et avec d'autres exemples, d'un même malaise identitaire... d'une même impression de désenchantement. Sans plus. Peut-être la mise en scène n'a pas permis de relever les similitudes ou de créer une entité, d'accord. Peut-être aurait-ce dû être plus réfléchi.

Je le redis aussi après l'avoir mentionné tout au cours de la semaine, ce n'est pas non plus un texte facile, ni dans le propos, ni dans la forme... Juste pour travailler convenablement la seconde partie monologale (qui dure au moins 30 minutes!), j'aurais pu réserver toute la semaine.

Enfin, le texte n'a pas non plus de message (du moins, pas conscient). Il ne s'agissait pas d'une pièce à thèse et n'a jamais eu aucune prétention d'être une démonstration sociale. C'était un état d'être, une réflexion personnelle, en quelques sortes...

Quelques mots sur le vide

Vide? Désenchantement? Doute? Incommunicabilité? Outre d'être un leitmotiv littéraire, comment s'incrit-il dans la création? En quoi participe-t-il à la réception du spectateur? Comment le définir? Telles sont les multiples questions qui nous ont été posées.

La réponse - pour nous la plus convaincante - réside dans une discussion, le dimanche matin, sur la force du vide: si on prend un vide, qu'on l'enferme, qu'on le compresse, il en résulte une force physique qui tente alors de s'échapper, de s'étendre... Il s'agissait alors pour nous d'atteindre à cette force en tentant de cerner une présence vide, de la contraindre et de la développer (toujours à partir du vide existentiel) pour qu'elle devienne le moteur du jeu. Peut-être, finalement, fût-ce trop ésotérico-théâtral...

Quelques mots sur l'équipe

Ce fut la plus belle réussite de cette résidence que la réunion de cette équipe (tant les comédiens que les concepteurs).

Peut-être a-t-on été heurté de voir cette équipe d'acteurs qui semble n'avoir rien de théâtrale... Eh bien, dommage. Mon choix répondait pourtant à deux objectifs: d'abord faire appel à de nouvelles têtes pour remplir la mission fondamentale du 100 Masques que de permettre des expériences à des gens de la relève... et ensuite, je souhaitais donner leur chance à des gens qui, sans avoir de pratique constante, ont malgré tout un cheminement dramatique consistant et des antécédents, si je puis m'exprimer ainsi, qui leur donne toute légitimité de travailler dans un contexte professionnel.

Il relevait aussi d'un choix conscient que de faire appel à deux conceptrices (Marilyne Renaud et Jessyka Maltais-Jean) qui auraient à mettre à l'avant plan non pas un talent technique mais une sensibilité, un sens créateur différent du mien...

Quelques mots sur la réception

En soit, l'intérêt était généralement marqué plus pour le processus que pour le résultat... quoique celui-ci permit plusieurs discussions, plusieurs interprétations... de la violence conjugale crue à l'incommunicabilité homme-femme; de la désillusion théâtrale au désenchantement socio-historique de la société post-moderne; de

La lourdeur du texte, la mise en espace du public, l'hypnose conjuguée de la goutte d'eau tombant du plafond et du ton lancinant du monologue contribuait à la rébarbativité ressentie par plusieurs. Paradoxalement, ce sont les mêmes ingrédients qui ont fascinés d'autres spectateurs...

Une petite note en terminant: il ne s'agissait pas d'un work in progress mais bien d'une véritable production... avis à tout ceux qui ont eu l'impression d'assister à un atelier...

Quelques mots sur le risque

On a questionné la notion de risque dans ce projet... pour être plus précis, on a regretté son absence... Mais qu'est-ce que le risque? En soit, n'était-ce pas un risque que ce projet?

Je crois, pour ma part, que le risque dans ce type de travail relève de la performativité, de l'acteur-performer... Il a sa place, oui, à un certain niveau... Mais se conjugue mal avec une recherche d'ordre théâtrale, d'ordre sémiologique, conventionnelle qui le vaut tout aussi bien, n'en déplaise aux tenants du postdramatique...

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Si vous avez d'autres questions, des commentaires, des suggestions, vous pouvez les laisser ici.

Fin du projet.

Démonstration de jeu

Petite fable guitryesque sur le jeu de l'acteur... sur un idéal de l'acteur (celui du début du XXième siècle...) qui pourrait toujours avoir encore un certain charme et une certaine portée aujourd'hui... Je l'ai trouvée dans un recueil de textes théâtraux divers (couvrant 2000 ans d'histoires et de révolutions scéniques et de courants différents) fort intéressant d'Odette Aslan, L'Art du Théâtre...


Lucien Guitry disait: «J'ai trois spectateurs. Un qui est sourd comme un tapis, un autre aveugle comme une taupe, et le dernier intelligent plus que personne au monde, fin, sensible, spirituel au-delà de toute attente... Seulement, il ne comprend pas un mot de français.»

Il s'agissait pour lui de convaincre les trois. Et il y parvenait, tenant compte toujours des particularités de chacun. Son visage exprimait tout ce que le sourd n'entendait pas, ses intonations s'adressaient à l'aveugle, et son jeu traduisait tout ce que l'étranger pouvait ne pas saisir.