mardi 30 octobre 2012

Plus ça change...


Voici, dans un long extrait tiré du bouquin Le théâtre aujourd'hui paru en 1855 (par Auguste Muriel), le chapitre consacré au critique de théâtre... juste pour le plaisir de voir toute cette évolution...

L'homme qui doit fixer le goût du public, celui qui a pour mission de diriger l'art, d'en montrer les débauches et les beautés, la plus sérieuse et la plus honorable des missions.

Quelle immense influence a le critique, que de bonnes choses il peut faire, que de mauvaises il peut empêcher! Ses études ont une application constante; le public a confiance en ses jugements et ne se décide en faveur d'une pièce qu'après avoir pris conseil de lui.

À la première représentation il est là, assis dans un coin obscur, s'isolant le plus possible de toute distraction; il suit avec une attention sérieuse les progrès de la pièce, il en cherche les ressorts, il épie les fautes, note les passages remarquables, cherche s'il n'y a pas un point de ressemblance avec des œuvres connues; s'il sent une fâcheuse tendance de style, il la grave dans sa mémoire pour la reprocher à son auteur. Bienveillant sans faiblesse, sévère sans dureté, juste toujours, il prépare les matériaux qui formeront sa décision.

Il revient le lendemain, et alors il étudie le jeu des artistes à leur tour. Mademoiselle une telle est plus jolie que telle autre, elle est plus aimable pour lui; tel artiste est son ami, tel autre est mal avec lui; n'importe, ce qu'il cherche, ce qu'il voit, c'est la manière dont leurs rôles sont remplis, et ses louanges et ses reproches tomberont juste, seront appuyés sur des considérations détaillées, sur des observations précises, seront présentés comme des conseils et ne se formuleront pas par une épithète banale.

Puis, rentré chez lui, le critique relira ses notes, se rappellera ses impressions, les examinera froidement, recherchera dans tel auteur les jugements portés en pareil cas, compulsera, comparera, étudiera et fera son article en toute connaissance de cause et de telle sorte que tout le monde puisse reconnaître la justesse de ses appréciations.

Voilà le critique!

Que cherchez-vous ainsi autour de vous? Vous vous demandez avec étonnement qui j'ai voulu peindre ici.

Ne cherchez pas, vous fatigueriez inutilement vos yeux et votre mémoire. Je vous ai peint le critique tel qu'il n'est pas et devrait être; voyons-le un peu tel qu'il est aujourd'hui, et si vous y trouvez un seul trait de ressemblance avec le portrait que je viens de faire, soyez assuré que je me trompe et que je vois avec trop d'indulgence.

[...] Pour faire un critique dans un journal de théâtres, vous prenez un jeune homme qui a fait à peu près ses études. Du moment où il sait écrire l'orthographe il est capable de remplir cette noble tâche; vous ne le payez pas et vous avez parfaitement raison, c'est l'estimer à sa valeur. Ce qu'il veut, c'est avoir ses entrées, soit pour obtenir un coup d'œil protecteur des actrices parce qu'il est riche, soit pour assister gratis au spectacle parce qu'il est pauvre [...]. Il doit savoir choisir dans le dictionnaire une épithète qui reste accolée à leurs noms, comme celles-ci par exemple: X... le délirant comique; la ravissante B... ; le sublime C..., etc., etc. Le talent de ce critique consiste à posséder un recueil varié de compliments tout confits en douceur, et de les distribuer avec discernement suivant le plus ou moins de temps pour lequel l'artiste s'est abonné.

Au reste, il faut avouer que les artistes et, le directeur aident beaucoup à propager cette espèce de critiques.