mardi 28 avril 2020

Edward Gordon Craig et sa vision du théâtre


La modernité du théâtre commence à la fin du XIXe siècle (après ce que plusieurs nomment la crise du drame autour de 1880). Parmi les premiers réformateurs, les premiers grands théoriciens qui jetteront les bases de ce qui deviendra la mise en scène telle qu'on l'entends de nos jours, il y a le Britannique Edward Gordon Craig. 

C'est toujours stimulant de le (re)lire. Il a une vision du théâtre sans compromis, passionnée et fort audacieuse pour l'époque. Et il déploie parfois des sentences radicales qui font réfléchir:


Ce passage vient de Le théâtre en marche, publié originellement en 1921 et qui dresse, en quelques sorte. Je me demande ce qu'il dirait aujourd'hui... 

Mais Gordon Craig, c'est beaucoup plus que ces considérations. Dans son cas, il repense l'espace, la dynamique de celui-co, le jeu de lumière, le rapport de l'acteur aux volumes. Il est trop souvent réduit à l'une de ses notions: la sur-marionnette (l'humain étant trop instable, il lui faudrait atteindre les vertus de la marionnette plus facile à manipuler).

Voici un site web très bien fait - en anglais - consacré à son travail et à ses recherches avec de très nombreux croquis.

(Avis aux visiteurs de ce blogue: comme c'est là ma prochaine lecture en confinement, il est fort probable que le bouquin en question alimente quelques billets dans les prochains jours!)

lundi 27 avril 2020

L'union du milieu théâtral régional... une initiative complexe

L'histoire théâtrale régionale renferme une multitudes de noms (connus et moins connus, encore dans les mémoires - et en action! - ou oubliés), de troupes... et d'initiatives de rassemblement et de traçages d'un portrait des forces vives.

(Et il serait bon, d'ailleurs, de collecter les témoignages des gens qui y étaient!)

Parmi celles-ci, une est plus importante que les autres, il me semble, tant par sa présence dans les journaux que par ses démarches, ses objectifs, ses propositions: Promotion théâtre

Milieu des années '70. La scène régionale bouillonne, portée par la vague du théâtre amateur, du théâtre engagé, de la création collective. Une équipe de cinq personnes (dont le porte-parole sera Roger Malaison que j'ai connu alors qu'il dirigeait L'Atelier de théâtre L'Eau Vive) obtient du fédéral une subvention pour créer Promotion théâtre.

Le 7 décembre 1975, le Progrès-Dimanche explique le projet:


Donc, trois objectifs sont poursuivis. Il y aura tout d'abord la création d'ateliers. Puis la mise en place d'une banque d'informations, d'un répertoire... de l'établissement d'un portrait. Enfin - et ce sera l'un des points importants du projet si on en croit le papier - la création d'un regroupement du milieu théâtral (dédié principalement à la promotion). 

C'est un projet intéressant. Qui aurait dû stimuler le milieu théâtral. Toutefois, il semble que cette initiative soit difficile à réaliser. On parle, dans l'article de quatre tentatives antérieures... et je sais qu'il y en aura une ou deux autres par après, au début des années '80.

Alors, à cette époque, qu'en pense-t-on? Le Progrès-Dimanche apporte une réponse, le 18 janvier 1976:


Les réticences sont manifestes. Pourquoi? Il n'y a pas vraiment de pistes données. Tensions dans le milieu? Possible. Projet trop ambitieux et trop dispersé? Peut-être. Craintes de voir un organisme prendre trop d'importance? Probable. 

Le 21 mars 1976, le Progrès-Dimanche publie un autre petit article sur Promotion Théâtre... mais cette fois, il y est question d'un festival et surtout de la collecte d'informations (qui sera la part la plus importante du projet finalement).


Qu'advient-il de l'idée de regroupement? L'idée germe-t-elle? Rien n'est moins sûr. Le 30 mai 1976, le Progrès-Dimanche publie un entrefilet plutôt équivoque:


Le temps avance et le projet PIL tire à sa fin (et entraînera la disparition de Promotion théâtre) et laissera, à défaut d'un regroupement, un portrait régional des différents secteurs du milieu théâtral tel que l'annonce le Progrès-Dimanche le 13 juin 1976:


Le 20 juin 1976, le journal fait un (sévère) retour sur la présentation du rapport du projet PIL. Mais surtout, il revient, en dernière partie de l'article sur le désintérêt du milieu théâtral pour un regroupement, avec, en filigranes, quelques hypothèses pour expliquer la chose.


Cette petite histoire est intéressante pour plusieurs points. D'abord, elle dresse quand même un portrait de milieu des années '70, de ses différentes dynamiques, de ses enjeux. Mais fondamentalement, elle pose la question du regroupement .

Aujourd'hui, en 2020, un projet de regroupement régionale, d'association, serait-il viable ou se ferait-il catalyseur de tensions diverses? Bien sûr, il y a le groupe de compétence en théâtre de Culture Saguenay... mais pourrait-il y avoir de l'espace pour une entité officielle, représentant politique, porte-parole et porte-étendard du milieu? 

dimanche 26 avril 2020

Que faire de la dépouille de Molière?


La mort de Molière, Pierre-Antoine-Augustin Vafflard, 1806

Comment, dans les récits mortuaires et les tribulations ecclésiastiques, passer à côté de ceux concernant Molière? Bien sûr, j'ai déjà fait un billet sur la description de sa mort par La Grange dans son fameux registre (ici). 

La Grange l'enterre rapidement et donne peu de détails. Pourtant, des détails, il y en a!

Mourant, Molière demande, semble-t-il, les derniers sacrements. Sa femme et ses amis vont chercher le curé de la paroisse Saint-Eustache... qui refuse. Après tout, il s'agit de l'auteur du Tartuffe! Quand ils finissent par en trouver un, trop tard: il est mort. Son corps ne pourra donc être enterré en terre chrétienne.

Voici, par diverses références (que j'ai trouvées dans le très intéressant bouquin Et Molière devint dieu de Claude Alberge paru en 2009) ce qui se passa...

D'abord une note de l'Épître VII de Boileau:


Allons dans le détail... Voici la requête qui fut déposée à l'Archevêque de Paris, François Harlay de Champvallon (petite biographie ici) après qu'Armande fut allée voir le Roi:


Et voici, suite à cette requête, l'ordonnance de l'Archevêque:


Le 21 février 1673 (Molière est mort le 17), on peut donc l'enterrer. Voici maintenant une lettre d'un auteur inconnu qui donne d'autres informations sur le déroulement de cet événement (pris dans les Considérations historiques et artistiques des monnaies de France):


Je termine ce long billet par un extrait de l'Épitre VII (mentionné plus haut) de Boileau, destiné à Racine, qui y fait, en quelques sortes, un éloge mortuaire:


(Il est possible, aujourd'hui, de voir les tombes de Molière et de Lafontaine au Père-Lachaise... mais ça, c'est une autre histoire.)

samedi 25 avril 2020

Crime contre les moeurs!

Le journal La Croix - le titre a lui seul (et les quelques articles rapidement survolés) laisse présager une publication plutôt conservatrice sur fond d'antisémitisme... - publie, le 9 février 1924, une chronique (ou est-ce une lettre ouverte?) d'un certain Jean Dollard, contre les crimes contre les moeurs perpétrés par les théâtres (bon, ici, une petite mise au point s'impose: dans les années 20-30, par théâtre, on doit comprendre tant les salles de spectacles que les cinémas), dont le maléfique Théâtre Gayety.


L'auteur (j'ai beau cherché, je ne retrouve pas sa trace ailleurs...) a l'indignation persistante. (Le maire de Montréal dont il est question serait, selon les dates, Médéric Martin.)

Le Gayety mérite qu'on s'y attarde un peu. C'est un endroit célèbre, dans le night life de Montréal, dans la première moitié du XXe siècle, par les spectacles qu'il donne. Après une époque tumultueuse de partage entre une vocation théâtrale et une entreprise cinématographique, sa scène se voit (de 1944 à 1951) magnifiée par une effeuilleuse qui passera à l'histoire: Lily St-Cyr (une petite histoire ici).



Mais ce n'est pas tout... parce qu'en 1953, le grand Jean Grimaldi, père des grandes tournées burlesques à travers le Québec, achète le lieu pour en faire le Radio City qui présentera du burlesque... avant que de n'être acheté, en 1956, par Gratien Gélinas qui en fera la Comédie Canadienne où seront créées de nombreuses pièces, spectacles (dont l'Ostid'show qui y sera repris en 1968) et où se produiront de nombreux artistes... avant que de ne devenir, en 1972, le toit permanent du Théâtre du Nouveau-Monde

Il y en a, de l'histoire, entre ces murs!!

vendredi 24 avril 2020

Ma conception du théâtre... retour dans le temps?

Ce blogue a longtemps servi de lieu de réflexions sur la pratique théâtrale, notamment dans cette période  (2009-2013) où, de façon chaotique et non-continue, j'étais inscrit au Doctorat en littérature et arts de la scène et de l'écran à l'Université Laval... (Et non, je n'ai pas été au bout de cette expérience, par manque de temps et de motivation.)


En faisant le ménage de mon bureau pour occuper mon temps de confinement, je suis tombé sur ce document qui donne, un aperçu de mes références d'alors, de mes pistes et intentions de recherches... et, en quelques sortes, de mes présupposés théâtraux. 

Le temps passe. Ceux-ci sont-ils caducs? 

Oui et non. Oui parce qu'avec les années, des points s'affinent au gré des mises en scène et des lectures. Non parce que fondamentalement, ma pratique (et ma vision théâtrale) est pétrie par ces éléments.

Le tout pourrait s'énoncer en trois volets - le rapport au texte (et à la littérarité), le rapport au corps (et à la performativité de celui-ci), le rapport à la scène (et à la théâtralité) - supportés par une conviction: le théâtre, comme médium et discours, est une construction formelle dynamique et de la forme (et de sa dynamique) viendra la force de son contenu.
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C'est ce que raconte le document plus haut. Il dit ceci, dans la radicalité de la brièveté qui demanderait assurément plus de développement:

RAPPORT AU TEXTE: Le texte est une forme. Il y a les mots. Il y a la sonorité de ceux-ci. Puis il y a les phrases qui, avec la ponctuation (ou la disposition sur la phrase), construit une rythmique portée par la voix, qui elle aussi, est une forme: débit, hauteur du ton, volume. 

Ce sont là les outils d'élaboration des personnages, de création des dynamiques et de tensions pour chacun d'eux, entre eux, entre eux et les objets, entre eux et la scène, entre eux et le public.

L'émotion (ou plutôt l'impression, pour le spectateur, d'une impression juste) viendra de la maîtrise de ceux-ci.

RAPPORT AU CORPS: Le jeu de l'acteur est une forme. Il y a la présence. Il y a le geste. Il y a le déplacement. La vérité recherchée du comédien n'est pas dans la vie psychologique du personnage mais dans son action concrète sur la scène. 

Le personnage est construit (bien sûr par ce qu'il dit et le texte) par le contrôle du mouvement, de la posture... éléments essentiels dans la création des dynamiques et des tensions pour chacun d'eux, entre eux, entre eux et les objets, entre eux et la scène, entre eux et le public.

La maîtrise du rapport au corps mènera nécessairement au personnage.

RAPPORT À LA SCÈNE: La scène est une forme. Il y a la superficie. Il y a les volumes. Il y a les objets et les accessoires. Il y a la lumière. 

Avant même de servir l'évocation ou la représentation d'un lieu (l'esthétique), la scène est donc, elle aussi, une composante dynamique qui impose rythme, déploiement dans l'espace, travail vocal, relation au public.

Le comédien doit alors posséder cet espace, le comprendre, l'expérimenter pour le maîtriser.

Un grand principe sous-tend l'ensemble: celui de l'action-réaction. Par ce rapport au texte, au corps et à la scène, c'est tout un jeu de stimulis, de causes à effet, qui est mis en place. Comme un engrenage théâtral.
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C'était il y a quelques années. C'était hier. C'est aujourd'hui.

Tout ça reste une vision dans l'absolu... parce qu'en salle de répétitions, il faut parfois faire des ajustements. La mise en scène est parfois un travail de négociation entre différentes conceptions théâtrales!

jeudi 23 avril 2020

Du rapport au répertoire et aux classiques...


Les grands ''classiques''. Les grands phares de la culture, que d'aucuns voudraient liquider. Pour moi, ils sont la continuité de la pensée humaine et de la problématique de l'homme qu'il faut à chaque fois et sans trêve redécouvrir, avec des mots d'aujourd'hui pour des hommes d'aujourd'hui. Je réserve le terme de ''classiques'' aux auteurs qui, à travers le temps, continuent à être présents parmi nous comme porteurs de ''nouveau'', qui sont en situation de ''contemporanéité permanente''. Les classiques n'existent qu'en tant qu'ils sont lus et vus par nous [...]. Si le classique n'est que glorification, triomphe de l'immuable et de l'inchangé, du codifié, du stratifié, alors il est inutile, il est mort. Autrement, non. L'extrême difficulté est de mettre à jour ce rapport nouveau et de le vivre, de le représenter dans sa réalité, [...] de retrouver à travers le temps sa charge d'aujourd'hui, son potentiel de transformation du monde, aujourd'hui. Par conséquent je dis oui à Shakespeare, à Lope, Schiller, Goethe, Tcheckhov. Goldoni et tant d'autres. Classiques lointains et proches.
Un théâtre pour la vie, Giorgio Strehler

C'est là une belle profession de foi envers le théâtre dit de répertoire. Un théâtre que j'affectionne particulièrement. Parce qu'à côté de la création (exaltante, il est vrai, par son actualité), il y a aussi des siècles d'échos venus d'époques lointaines, de formes anciennes, d'auteurs parfois oubliés. Tous ces mots et ces écrits tracent les contours d'une humanité toujours en quête d'elle-même.

Et le théâtre permet cette étrange situation où on peut se reconnaître dans Gogol... tout comme il est possible de se retrouver dans Aristophane, dans Feydeau, dans de Lorde, dans Plaute, dans ces auteurs anonymes des farces médiévales, dans Euripide, dans Maïakovski, dans etc.

mardi 21 avril 2020

La mort de Mlle Déjazet

C'est un des beaux sujets que j'aborde de temps en temps sur ce blogue (ici, ici, ici et ici): la disparition des grandes actrices... mais surtout, le traitement qu'on fait à leur mort, elles qu'on a adulées de leur vivant  avant de leur faire subir la vengeance de l'Église. 


La Gazette de Joliette du 14 janvier 1876 publie un article sur la mort chrétienne d'une autre grande actrice française (qui donnera son talent au vaudeville): Mlle Déjazet (1798-1876) dont une courte biographie Wikipédia vous la présentera mieux que je ne saurais le faire. Cette fois, c'est l'inverse! On loue sa conversion et on vilipende les autres journaux qui ont passé sous silence ce fait! 


En voilà une de sauvée peut-on presque lire en filigrane de ce papier...





dimanche 19 avril 2020

Quand Sarah Bernhardt s'impose... dans Lucky Luke!

Il y a quelques jours à peine (ici), j'écrivais un billet à propos d'une bande dessinée qui vient tout juste de sortir et qui raconte une partie de la vie de Sarah Bernhardt. (Ceci étant dit, cet ouvrage ne m'a pas particulièrement marqué...)

Mais voici que par hasard me tombe entre les mains une autre bande dessinée portant sur l'artiste... mais cette fois, dans la série des Lucky Luke! Eh oui, la Voix d'or est partout dans l'imaginaire collectif et s'invite même auprès du cowboy solitaire.


C'est en 1982 que paraît cet album. A-t-il eu du succès? Je l'ignore. Il porte sur la première visite de Sarah Bernhardt en Amérique, sur l'invitation de l'impresario Jarret. 


Tout y est (bien sûr, très caricaturé): la bataille de la moralité, la montée de la publicité, l'adulation, la visite des coins les plus reculés, la rencontre avec les autochtones, le capitalisme sauvage. Pendant ce temps, le héros (qui occupe dans cette histoire un rôle de figurant plutôt effacé) est chargé, par le président lui-même, de la surveillance de cette grande tournée. 

Et la voici qui arrive.


Comme un running gag, Sarah Bernhardt interprète toujours, peu importe les conditions qui lui échoient, le même morceau poétique. (C'est celui qu'elle déclame à la descente de bateau.) Il s'agit d'un poème de René-François Sully Prudhomme:


Cette strophe, elle l'a dira en train, au-dessus des chutes du Niagara, dans un saloon, dans un tipi... et même sous l'influence de l'alcool


Mais tout ira bien. Toutes les tentatives d'entraver la tournée seront déjouées... sans que Lucky Luke ne soit vraiment impliqué d'ailleurs... et à la page 46, tradition oblige, le solitaire s'en retourne vers le couchant sans qu'il n'y ait eu d'idylle entre les deux.


samedi 18 avril 2020

Un argument brûlant...

Le journal L'Étoile du Nord, présente, le 25 février 1904, un lourd plaidoyer contre le théâtre, gouffre de vices pour toute vie chrétienne. 


Outre la rhétorique habituelle et les nombreux rappels  des récriminations des Pères de l'Église, ce qui m'a surtout intéressé, c'est l'anecdote - dans toute son horreur - du début. 


Voici une photo de l'Iroquois Theatre. Le 30 décembre 1903, en après-midi, un terrible incendie éclate alors que la salle est remplie de  femmes et d'enfants qui profitent des vacances des Fêtes pour assiter à une représentation de Mr. Bluebeard (l'affiche qu'on voit d'ailleurs... l'image ayant été prise quelques jours avant le feu). Au début du second acte, vers 15h15, des étincelles venues d'une lampe embrasent les rideaux. Il y aura des centaines de morts.

Pour plus de détails, voici un article - en anglais - du Smithsonian Magazine qui raconte les faits, ... et l'article Wikipédia qui donne d'autres informations (notamment sur les suites de cet incendie). Sinon voici un petit montage Youtube qui présentent, principalement en images, toute cette histoire:


Il est quand même étonnant que l'auteur de l'article de L'Étoile du Nord utilise cette histoire d'horreur quelques semaines à peine après le cataclysme afin de démontrer sa thèse que le théâtre n'est pas compatible avec la vie chrétienne... occultant, par son jugement manifeste et sans appel envers les victimes, une des principales vertus, me semble-t-il, de cette même vie chrétienne qu'il proclame: la charité.

jeudi 16 avril 2020

Une époque révolue... pourtant pas si lointaine

En pleine recherche de légèreté, je suis tombé sur ce reportage (probablement des années '90) qui s'intéresse à Gilles Latulippe et à son Théâtre des Variétés (qu'il acquiert en 1967 pour le faire fonctionner jusqu'en 2000), dernier grand porte-étendard de ce genre si prisé au Québec au XXième siècle: le burlesque. 

Il y aura près de 7000 représentations au cours de ces 33 ans d'activités intenses... une moyenne de 212 par année. C'est dire le rythme de production et toute l'énergie déployée par ces techniciens du rire. 


Ce genre théâtral - qui commande le respect sous ses allures désuètes - a pratiquement disparu aujourd'hui. Dommage... parce que ce fut là, il me semble, une importante école du sens du punch, du rythme et de l'agilité...

mercredi 15 avril 2020

Sarah Bernhardt en BD... nouvelle acquisition!

Pour passer le à travers le confinement - disons le temps d'une soirée... - je me suis commandé, aux Bouquinistes, une bande dessinée racontant la vie de Sarah Bernhardt... et la voici qui vient d'arriver, pour mon plus grand plaisir!



Cette BD vient tout juste de paraître (février 2020) chez Futuropolis. Voici ce qu'on en dit:


Leslibraires.ca: Le récit de la vie de Sarah Bernhardt après le conflit de 1871 pendant lequel la comédienne s'est muée en infirmière pour soigner les blessés au théâtre de l'Odéon converti en ambulance. Alors que sa vie reprend son cours, elle doit faire ses preuves sur les planches. C'est alors que Victor Hugo lui propose le rôle de la reine dans son «Ruy Blas».



Google Books: Sarah Bernhardt (1844-1923) est un personnage romanesque, moderne, qui prend son destin en main et bouscule les traditions. Surnommée par Victor Hugo "la Voix d’or", ou par la presse "la Divine", elle est considérée comme la plus grande tragédienne française du XIXe siècle. Jean Cocteau a inventé pour elle l’expression de "monstre sacré". Eddy Simon et Marie Avril signent une biographie aussi libre que la vie de cette femme hors du commun. Ils s’attachent particulièrement sur la période de neuf ans (1871-1880) où Sarah va construire sa légende, travailler au théâtre et va connaître la consécration.



Comixtrip: En favorisant les scènes de dialogues, Eddy Simon (Rouge Karma avec Pierre-Henry Gomont) met en exergue le tempérament de feu de la combative, fantasque et provocatrice Sarah Bernardt.

Marie Avril est au dessin de cette merveilleuse histoire, elle transporte le lecteur dans les moments les plus éclatants et les plus sombres de la vie d’une des plus grandes actrices françaises. Le graphisme est de toute beauté. Les planches sont magnifiques, certains détails donnent encore plus de profondeur à cette histoire.

mardi 14 avril 2020

Premiers rôles en tous genres!

The United Artists Theatre, Détroit (Ryan Southen Photography)

L'image est un peu macabre, il est vrai. Mais j'en cherchais une d'une scène tombée en désuétude, qui n'a pas traversé le temps. D'une scène opulente qui s'est atrophiée. Tout ça pour aborder une autre tradition théâtrale, elle aussi s'étant effritée au fil des époques: les emplois!

Cette époque où les comédiens pouvaient être mis dans des cases. Où les rôles étaient imposés en fonction de la fonction de chacun. Cette époque où prédominaient les egos en tous genres (sont-ils seulement disparus?). Il fallait donc savoir ménager les susceptibilités! 

Voici donc l'aberrante hiérarchie des rôles... édictées par Jean Sarment en page 43 de sa biographie de Charles Dullin (fort intéressante, par ailleurs!) parue en 1950 chez Calmann-Lévy.

Ah l'atmosphère, si particulière, si perdue aujourd'hui, de ces théâtres de répertoire et de ''troupe'' [...] qui offraient alors quelque chose de particulier qui était entre ''l'héroïque" et le "militaire".

Une corporation de bohèmes, où les plus anciens étaient devenus, sinon grands seigneurs et maîtres, du moins des espèces de prévôts d'armes. Je pense aux grands piaffants premiers rôles en tous genres, je pense aux grands premiers comiques ou aux premières rondeurs.

Car il y avait du premier à tous les échelons de ces troupes dramatiques. Le troisième rôle lui-même étant premier couteau ou premier poignard.

Toute l'ambition et l'émulation d'une carrière poussaient le comédien de ce temps à passer d'un premier à un autre, emploi par emploi.

On avait débuté premier amoureux des seconds, ou second jeune premier, puis premier jeune premier des jeunes, puis jeune premier tout court.

Là, une orientation s'imposait.

On obliquait, si les moyens physiques, un manque de charme, par exemple, un port de voix particulier le voulaient, vers les traîtres, premiers couteaux. Ou alors c'était la marche triomphale vers le grand jeune premier rôle, le premier rôle des seconds, le grand premier rôle en tous genres, roi de la scène, quasiment maître du plateau après Dieu, mais généralement avant son directeur.

Et cette gradation ne représentait alors qu'une colonne de la hiérarchie professionnelle. Celle des jeunes gens élégants, bien bâtis, des fringants, des ''brigands des coeurs''.

À côté, non moins importante, s'échelonnait ''la composition''. De l'humble grande utilité, en passant par les grimes, les manteaux, les financiers, les rondeurs, toujours premier à son échelon (ou second des premiers quand le régiment était assez riche pour s'offrir un lieutenant près du capitaine, un lieutenant-colonel près du père du régiment), en passant par les rôles de demi ou de grand caractère, on montant jusqu'au grand premier comique! En tous genres lui aussi. 

Les premières rondeurs... Je n'avais jamais entendu parlé. J'ai bien tenté d'en trouver une bonne définition mais j'ai abandonné après quelques recherches infructueuses. J'imagine, que ce sont les gros personnages de la troupe: la nounou, le cuisinier, le bourgeois parvenu Sancho Pancha, etc.? 

En terminant, voici un lien Wikipédia pour compléter le tableau. 

lundi 13 avril 2020

L'utilité du théâtre... par Sarah Bernhardt


Sarah Bernhardt en Pierrot, dans Pierrot Assassin de Jean Richepin, par Paul Nadar, 1883
(Note de la BnF: La pantomime, créée au Palais de Chaillot le 28 avril 1883, mettait en scène Sarah Bernhardt dans le rôle de Pierrot et Réjane dans le rôle de Colombine. Le temps de quelques représentations d’une pièce qui n’eut pas beaucoup de succès, Sarah Bernhardt incarne un personnage d’autant plus effrayant qu’il mêle le profil du Pierrot inquiétant au caractère ambigu de la femme travestie.)


C'est vraiment une très belle photographie de l'actrice!

Je ne le cacherai pas, j'ai un faible pour Sarah Bernhardt. Pour elle-même d'abord... puis pour l'ensemble de sa vie, son oeuvre, son univers, son époque... et son incontestable drive.  Elle s'est construite, sans compromis, un personnage grandiose, tout pétri de théâtre. Elle avait une vision de la scène (oui, marquée de son époque, mais quand même) claire et forte... qu'elle a d'ailleurs mis sur papier et qui a été repris notamment ici, au Québec, par le journal L'Autorité, le 15 mars 1914:


La partie iroquoise est plutôt cocasse... et oui, la dernière partie des oeuvres réaliste, réalistes-idéalistes, religieuses est plutôt datée... Il n'en demeure pas moins que c'est là une profession de foi profonde envers le théâtre.

dimanche 12 avril 2020

Une cause qui fera jurisprudence...

Voici une petite histoire juridique fort intéressante concernant les droits d'auteurs sur les oeuvres françaises... qui commence en 1912 pour aboutir 5 ans plus tard... 

Le Devoir, 26 juin 1913:


Difficile de trouver des informations sur les protagonistes. Charles Joubert est un éditeur parisien soit. Les Geracimo sont d'illustres anonymes de nos jours. Et le Théâtre Liberty était plutôt un cinéma... mais qui présentait, dans les entractes, des petits spectacles... dont ceux en cause! 

J'ai au moins tenté d'en savoir plus sur les pièce mentionnées: l'opérette Le crime de Passy de L. Martin...  l'opérette Au Coq Huppé de Villemer et Delorimel (musique de A. Banès) créée à Paris en 1897... quant à l'autre, niet.

La cause sera longuement débattue, de cour en cour. Pour aboutir à la cour suprême. 

La Presse, 16 mai 1916:


La Presse, 6 novembre 1916:


La Convention de Berne pour la protection des oeuvres littéraires et artistiques (plus de détails ici et ici) a été signée par 175 pays, dont le Canada, en 1886.

La Presse, 27 mars 1917:



samedi 11 avril 2020

Les belles manières


Un peu plus de légèreté, ce matin... parce qu'il faut parfois savoir sortir de l'indécence, de la moralité, de la censure et de la mainmise du clergé sur le théâtre du début du XXe siècle! 

Alors voici, aussi savoureux qu'un chocolat de Pâques, une chronique grinçante, parue le 20 novembre 1907 dans La Presse, sur les bonnes manières quand on assiste à un spectacle!


Bon. Chose rare: je sors un peu du contexte théâtral! J'ai cherché à en savoir un peu plus sur ce Laurent Bart... chercher à savoir s'il venait du monde culturel. Je n'ai pas vraiment trouvé sinon qu'il semblait tenir une chronique régulière dans La Presse. Toutefois, j'ai trouvé un article dans le journal La Croix (20 février 1907) qui vilipende le pauvre Laurent Bart avec une virulence surprenante... au point de le publier ici même s'il ne s'agit pas de théâtre:


Ça jouait dur entre les journaux de l'époque!

vendredi 10 avril 2020

Au temps des mystères...

En ce Vendredi Saint, voici deux tableaux illustrant les plus grandes scènes de la Passion du Christ, sujet de prédilection de ces spectacles à grand déploiement qu'on appelait les mistères (qui s'ortographierait mystères un peu plus tard):

Le mistère de la Passion, 1547


C'est là un sujet théâtral si important que Michel Corvin, dans son Dictionnaire encyclopédique du théâtre, en fait une entrée distinctive:

Mystère de la Passion: C'est le mystère par excellence. Juxtaposant blagues triviales et théologie raffinée, la Passion déroule l'histoire du Christ comme un immense livre d'images.

Les premières Passions datent du début du XIVe siècle (Passion du Palatinus). Il est peu probable qu'elles proviennent du drame liturgique, qui traite très rarement de la Passion. La source en serait plutôt des narrations de jongleurs (surtout la Passion des jongleurs), remaniées et réarrangées par des confréries pour dire à plusieurs ce qui était initialement le texte d'un seul. De taille moyenne au XIVe siècle (4 500 vers pour la Passion du manuscrit de sainte Geneviève), elle grandit ensuite démesurément: 25 000 vers pour celle de Mercadé (dite Passion d'Arras, vers 1440), 35 000 pour celle de Gréban (vers 1450), ensuite augmentée des ''additions et corrections'' de Jean Michel (1486). Cette dernière version (jusqu'à 65 000 vers) servira désormais de base aux représentations. De tels chiffres montrent bien l'ambition de la Passion d'être une somme: son espace, c'est l'univers et l'on y va en quelques pas de Rome à Jérusalem; sa durée, c'est l'histoire du monde depuis sa création; son contenu, c'est le seul événement fondamental pour un chrétien: la mot de Jésus rachetant le péché originel.

Que l'on n'imagine pas pour autant des oeuvres d'un sérieux réfrigérant: les auteurs font volontiers place aux plaisanteries de bergers, à la ''mondanité'' de Marie-Madeleine, au rire gras des bourreaux ou aux insultes des diables. Il y a dans ces Passions tout une humanité grouillante, fort semblable à celle des retables peints ou sculptés à l'époque. Les bourreaux, notamment, y ont un rôle de premier plan: clowns sadiques, ils dominent l'action pendant des heures entières. Moins pour distraire le populaire (comme on l'a trop dit) que parce qu'ils sont indispensables à la pédagogie théâtrale de l'oeuvre: il faut que le spectateurs ressente une trouble attirance pour ces tortionnaires drôles et rie avec eux pour se repentir ensuite d'avoir ri et se sentir pleinement pécheur, indigne de la rédemption et cependant sauvé par le Christ. Les autres personnages, surtout ceux de premier plan, n'ont malheureusement pas le même relief: hormis quelques beaux passages (les lamentations de Marie chez Gréban, par exemple), le Christ et les apôtres ont un texte explicatif et descriptif, souvent délayé et insipide. Il serait cependant injuste de  juger selon nos critères littéraires de vers qui n'ont été écrits que pour la représentation, soutenus qu'ils étaient alors par la musique et le clinquant des effets visuels.

Pour terminer, voici un lien menant vers ladite version  d'Arnoul Gréban (1420-1470) du Mystère de la Passion, celle d'Arnoul Gréban (1420-1470) écrite vers le début du XVe siècle (avant 1452, selon les spécialistes).

mercredi 8 avril 2020

En mémoire de Ghyslain Tremblay

Le comédien natif de Jonquière, Ghyslain Tremblay est décédé.

Il a fait ses débuts ici, à l'époque glorieuse du théâtre amateur des années 70. Il  a fait partie de cette éblouissante cohorte d'artistes - les Rémy Girard, Marie Tifo, Michel Dumont, Louise Portal et compagnie - qui a notamment joué avec La Marmite de Ghislain Bouchard... avant que de passer lui aussi à la grand'ville, sur la scène et à la télévision!

Que de rôles il nous laisse en souvenir! 

Je cherchais, dans les archives de la BaNQ pour trouver des informations. Et voici tout un portrait de lui, publié en décembre 1998 dans le Progrès-Dimanche, sous la plume de Madame Christiane Laforge (qui m'en a gentiment autorisé l'usage):


Mes sympathies à ses proches et à sa famille.

Les moutons noirs du théâtre... au début du XXe siècle

Oui, la Belle Époque que ce début du XXe siècle!

Le clergé dominait ses ouailles et dans cette hiérarchie, l'Archevêque de Montréal (Bruchésie) avait, semble-t-il, de la broue dans le toupet en matière de théâtre. 

Après avoir fait de multiples sorties (mon blogue se fait le vaillant rapporteur de celles-ci!), il devait aussi asséner des interdictions formelles... comme celle ayant frappé le Théâtre des Nouveautés en 1906 (la petite histoire ici). Ou encore, comme celle s'abattant, telle la foudre, sur le Théâtre Royal (habitué, par ailleurs, aux controverses si je me fie aux nombreux articles au fil des ans) comme le rapporte le journal La Vérité du 22 mai 1909:


Pourquoi cette interdiction? Probablement (c'est une supposition...) suite à la controverse de la danseuse Millie de Leon dont j'ai parlé ici, il y a tout juste un mois... Une supposition donc... mais en même temps, confirmée, en quelques sortes, par un article qui vilipende, dans la même édition du même journal, les confrères de La Presse:



mardi 7 avril 2020

Quand on regrettait la censure...

Je ne le dirai jamais assez: le contexte socio-religieux dans lequel notre théâtre a pris naissance (à de très nombreuses reprises!) était difficile. Cette belle histoire s'est déployée tant bien que mal entre les interdictions du haut clergé, ses mandements, ses condamnations. Entre les sermons contre l'indécence de la scène, son immoralité. Entre les règlements municipaux et les bureaux de censure.

Et les échos de ce combat quasi épique ont perduré (mon blogue s'en fait presque une spécialité!)... et perdurent toujours, d'une certaine façon, se métamorphosant sous les assauts de la bien-pensance.

En 1947, le 27 mars, le Devoir  y allait d'un article de Jacques de Grandpré sur la moralité de nos scènes... un texte qui aurait aussi bien pu être écrit en 1847...


Oui. Ces débats de (im)moralité et de censure auront encore de beaux jours et ressurgiront notamment (en bien ou en mal?)... en 1967 (avec l'histoire d'Équation pour un homme actuel es Saltimbanques)... en 1976 (avec l'histoire des Fées ont soif)... en 1996 (avec l'histoire de Nudité, un spectacle de Grand Théâtre Émotif dont je parlerai assurément bientôt!)... en 2011 (avec l'histoire du Cycle des femmes du TNM... avec Bertrand Cantat)... à la limite, on peut penser aux spectacles SLAV et Kanata de Robert Lepage...

À chaque fois la question fondamentale reste la même: où trace-t'on la ligne?

lundi 6 avril 2020

Quand Réjane débarque...

Les grandes tournées du XIXe et du XXe siècle, qu'elles soient américaines ou - comme celle en question ici - européennes, ont certes bousculé la façon de faire et de voir le théâtre sur un territoire où l'art dramatique peinait à s'implanter durablement. Mais surtout, elles ont, aux dires de plusieurs gardiens de la vertu (ecclésiastes, journalistes, cercles de tout genre, etc.), altéré la moralité du bon peuple canadien-français.

Donc voici que s'annonce, en 1904-1905, une tournée de la grande Réjane (elle aussi, contemporaine de Sarah Bernhardt). On dit d'elle (ici) qu'elle est la souveraine incontestée du genre comique et brillant, mais aussi fine interprète dramatique. Les spectateurs admirent en Sarah Bernhardt un idéal grandiloquent, tandis que Réjane les réconcilie avec la réalité, sublimée par un jeu théâtral qui garde le charme du naturel. Interprète aussi pétillante que sensible, Réjane est la reine incontestée du Boulevard.



De partout, on veille... comme en fait foi cette publication du journal La Croix, 14 janvier 1905:


Je suis donc remonté pour trouver, dans La Presse de ce début janvier, ces annonces cochonnes qui ont tant déplu. Mais je n'ai pas grand chose (d'autant que, comme toujours, la seule édition qui manque est celle du 6 janvier 1905... qui devrait être l'édition maudite si je me fie à  la date de la missive) sinon cette minuscule réclame du 4 janvier qui donne le programme - et c'est probablement là le noeud de l'affaire - du His Majesty's, une des grandes salles de l'époque.