Voici, un commentaire qui a été publié (sous le nom
Mike on the Line) à la suite de
Haro sur la pérennité des emplois dans le domaine culturel. Ce matin, je passe le micro (et voilà le lien avec l'image!). Comme il pose pleins de questions et qu'il propose des tentatives de réponses, je le reprends ici dans son intégralité:
Il y a quelque temps déjà, j’inscrivais un commentaire suite à l’article de Yoyo du 15 avril 2008, intitulé Recherche d’emploi. J’y demandais comment on crée de la richesse dans le milieu du théâtre.
Cette question est d'autant plus pertinente que ce nouvel article auquel je réponds parle d'économie et fait entendre l'idée que, parce que différente, la réalité du milieu culturel régional ne peut s'inscrire à l'intérieur des balises plus nationales, pour ne pas dire plus métropolitaines, des programmes de soutien et associations de toutes sortes (d'Emploi-Québec à l'UDA, en passant, par exemple, par le CALQ).
Si cette différence est bien réelle, quelqu’un peut-il m’expliquer alors pourquoi les compagnies d’ici m’apparaissent s’inscrire presque toutes à l’intérieur de ces balises que les artistes et les artisans, individuellement, rejettent ? Je ne dis pas que nos compagnies doivent disparaître, au contraire : elles réunissent une somme importante et précieuse d’expériences et de connaissances que je respecte. Je demande seulement : pouvons-nous imaginer le fonctionnement du théâtre à Saguenay davantage en accord avec cette réalité singulière dont tout le monde parle constamment ?
Bon, j’en entends déjà certains dire « de quoi il se mêle, lui ? Il ne fait plus de théâtre, par quelle autorité ose-t-il parler… ». C’est vrai, je ne me considère plus comme étant un artiste. Je sais cependant ce qu’est l’être et je respecte infiniment cela. Je ne suis pas un artiste, mais, depuis 1991, je n’ai jamais cessé de m’intéresser au théâtre ; seulement, je ne l’envisage plus beaucoup dans ses aspects artistiques, je laisse ça à ceux qui en ont le talent, et il y en a beaucoup chez nous!
Cela dit, depuis huit ans, je regarde davantage le théâtre dans la région d’un regard historique, politique et économique. J’ai eu l’incroyable chance de travailler plus de deux ans au projet de sauvegarde des archives sonores de CBJ et d’entendre toute l’activité théâtrale des années 60 et 70. J’ai pu, par exemple, prendre connaissance de sa vitalité étonnante, au point de présenter devant salle comble, à l’Auditorium Dufour, pendant quatre soirs, un festival canadien de théâtre amateur.
En indexant ces archives, j’ai pu aussi entendre la naissance du théâtre professionnel à Saguenay : la création du théâtre la Rubrique, avec une mission sociale qui s’est passablement transformée avec les années, puis l’arrivée d’un programme de certificat en théâtre, à l’UQAC, et la constitution des Têtes heureuses. Bref, ces perspectives historiques m’apparaissaient si riches en enseignement que, depuis deux ans, le théâtre d’ici, de 1956 à nos jours, est devenu mon sujet de maîtrise en études et interventions régionales, pour laquelle j’entre en rédaction en 2009. J’ai joint également à cette maîtrise une particule en gestion des organisations afin de pouvoir envisager ces aspects en plus de l’histoire de notre théâtre régional. J’imagine que cela m’offre quelques compétences et je n’espère qu’une chose : en faire profiter les artistes et artisans de la région à court, moyen et long terme.
Ça me déchire de voir des talents s’arracher la vie, ou simplement abandonner. Ça m’attriste quand je vois des gens pleins de potentiel ne pouvoir l’exploiter à leur maximum, comme Yoyo, comme des dizaines d’autres d’ailleurs. Alors, j’ose rêver d’un Saguenay où toutes les salles de théâtre sont bondées comme pour un show des clowns noirs (le plus bel exemple de l’importance de s’inscrire symboliquement dans l’imaginaire de la ville, bravo !). J’imagine un milieu effervescent, où on retrouve encore plus d’artistes et d’artisans de la scène qu’actuellement, où l’offre de nouveaux spectacles est généreuse et permet l’émergence de nouveaux talents ET de plusieurs comédiens nationaux, d’auteurs, et de metteurs en scène rayonnant à travers le Québec et le monde.
Je vous propose alors ma vision. Ce n’est pas LA réalité du milieu théâtral ni LA solution. Si les deux existent, c’est collectivement, pas dans l’esprit d’un seul individu, ni dans la mission d’une seule compagnie. Je vous propose une vision qui est le fruit de mon analyse et où je ferai en sorte, après quelques digressions, que deux termes se rencontrent : amateur et professionnel.
En octobre 2006, je devenais administrateur du Théâtre 100 masques. Cette compagnie, dont la mission de base était alors le soutien à la relève, venait, depuis plus d’un an, de reprendre les activités pédagogiques abandonnées par l’Atelier de théâtre l’Eau vive. Cet aspect pédagogique m’intéressait vivement, car j’y voyais là un levier puissant de sensibilisation de notre collectivité au théâtre. J’y voyais aussi des possibilités de carrière d’appoint pour les artistes et artisans, un emploi régulier assorti d’un salaire décent qui leur permettrait de se concentrer sur des projets artistiques et d’envisager leur vie ici, sans être constamment aux abois financièrement.
Bien que j’y ai découvert une compagnie en piteux état, qui est d’ailleurs actuellement sous respirateur, parasitée par sa mauvaise réputation professionnelle, cette vision pour l’enseignement du théâtre ne m’abandonne pas, au contraire.
Une de mes propositions, donc, pour créer de la richesse est la suivante : mettre en place une véritable structure professionnelle vouée à la formation théâtrale, gérée par des artistes et artisans du milieu ; construire un programme pédagogique à partir des compétences que les artistes veulent partager, une offre de service que le client peut lui aussi construire à la carte, selon ses besoins et ses attentes ; soutenir cette structure par une équipe de gestionnaires et d’administrateurs capable d’en baliser le développement, dès l’incorporation.
Quant aux clients, cette structure ne se contenterait pas des perspectives traditionnelles que sont les écoles et les services des loisirs. L’équipe de gestionnaires aurait également comme mandat de développer un produit pour les compagnies. Le but ultime serait la création d’un festival amateur annuel durant lequel on pourrait voir sur les planches, par exemple, les employés de Rio Tinto – Alcan, de Bell Canada, du Complexe hospitalier de la Sagamie, des restaurants Saint-Hubert de Saguenay, du Cégep de Jonquière, de la base de Bagotville, et cetera.
Redonner le droit au théâtre aux citoyens de Saguenay permettrait peut-être le retour de l’intérêt porté pour la discipline dans les années 60 et 70. Ce genre de manifestation aurait comme principal impact de réintroduire de façon significative le théâtre dans l’univers symbolique régional.
Imaginons maintenant qu’on mélange les deux : le talent dit naturel, mis en lumière, par exemple, dans le spectacle des travailleurs sociaux du CLSC de Chicoutimi, donnant la réplique à Marie Villeneuve, où encore une expérimentation du théâtre CRI avec 15 retraités d’Abitibi Consolidated ? Ne voyez-vous pas, comme moi, des salles pleines, une demande plus forte, des artistes et des artisans qui peuvent se développer pleinement ?
J’ai parlé un peu plus tôt du Théâtre du Faux-coffre. Au-delà de leur travail artistique, ce qui me fascine chez eux, c’est leur capacité à s’inscrire dans le tissu urbain, à devenir des personnages emblématiques auxquels une cohorte s’identifie, et à faire partie d’un imaginaire collectif qui dépasse le milieu du théâtre et son habituelle clientèle.
Ma proposition – qui n’a rien d’artistique – ne vise que cela : faire en sorte que l’ensemble des citoyens de Saguenay se sent aussi concerné par le théâtre que par son équipe de hockey junior majeur, que ses artistes et artisans soient supportés par lui, et que cette réalité singulière du monde du théâtre dont on se réclame depuis bientôt 30 ans ne soit plus nommée que par des gens de l’extérieur, jaloux de ce petit miracle économique et culturel.
Et vous, qu’en pensez-vous ?