dimanche 19 mai 2024

Pour qui fait-on du théâtre?


La question qui coiffe ce billet est récurrente dans le milieu théâtral. Pour qui, notre théâtre? Pour quel public? Quel(s) spectateur(s)? Et pour développer ce dit public qui n'est et ne sera jamais assez nombreux, pour dénicher ce nouveau spectateur, il y aura toutes ces activités de sensibilisation, de médiation qui prendront de plus en plus de place, d'énergie et de moyens financiers. Et on fera des pieds et des mains pour aller à leur rencontre, se croisant les doigts qu'ils viennent jusqu'à nous par la suite.

Une question qui devient parfois lancinante quand une production peine à attirer la masse. Mais en même temps, quelle masse vise-t-on? Ou doit-on viser?

Olivier Neveux, dans Contre le théâtre politique paru chez La Fabrique - Éditions en 2019 (dont j'ai parlé ici) y va d'une réflexion essentielle, à ce sujet:

[...] Le théâtre reste très largement fermé à un public populaire, il serait scandaleux de s'y résigner.

Pour autant, une question préalable s'impose. Elle est brutale. Est-ce vraiment si grave que le monde entier n'aille pas au théâtre? [...]

Que se joue-t-il sur les scènes qui soit à ce point indispensable à une vie? Une existence sans théâtre est-elle vraiment ratée, amoindrie, incomplète? [...] La question n'appelle pas, bien sûr, une réponse négative mais a minima une réponse réflexive. D'où vient, dans le monde culturel, ce désir de sauver l'humanité, les plus pauvres, les plus délaissés, les plus visiblement stigmatisés? [...] Le bon spectateur, en l'occurrence, c'est toujours celui qui n'est pas là, l'absent, celui qui est fantasmatiquement toujours plus «populaire» et dont l'attente organise toute les frustrations. Se défaire de ce paternalisme, de cette certitude que le monde attend quiconque pour s'émanciper, se cultiver, s'émouvoir est peut-être l'une des conditions nécessaires à la pratique d'un théâtre autrement populaire.

A-t-on encore le droit, du point de vue de ceux qui le font, de ne pas aimer le théâtre? [...] (pp.76-77-78)

Ce sont là de belles questions qui ramènent la première: pour qui fait-on du théâtre?