En 1674, Nicolas Boileau publie son Art poétique (le fameux texte qui résume ainsi la règle des trois unités: Qu'en un lieu, qu'en un jour, un seul fait accompli / Tienne jusqu'à la fin le théâtre rempli) qui édicte (pour ne pas dire qu'il enferme à double tour!), en quelques sortes, le cadre du classicisme français qui aura cours jusqu'à la révolution romantique (bon... je bouscule un peu l'histoire, mais...).
Dans cet essai écrit en vers se trouve, au troisième chant (à partir du vers 61), une histoire du théâtre en quelques lignes (32... pour être plus précis) que j'aime bien:
Un jour, il faudra tenter d'écrire la suite de façon aussi concise pour se rendre jusqu'à aujourd'hui!
Dans cet essai écrit en vers se trouve, au troisième chant (à partir du vers 61), une histoire du théâtre en quelques lignes (32... pour être plus précis) que j'aime bien:
La tragédie, informe et grossière en naissant,
N'était qu'un simple choeur, où chacun, en dansant,
Et du dieu des raisins entonnant les louanges,
S'efforçait d'attirer de fertiles vendanges.
Là, le vin et la joie éveillant les esprits,
Du plus habile chantre un bouc était le prix.
Thespis fut le premier qui, barbouillé de lie,
Promena dans les bourgs cette heureuse folie ;
Et d'acteurs mal ornés chargeant un tombereau,
Amusa les passants d'un spectacle nouveau.
Eschyle dans le choeur jeta les personnages,
D'un masque plus honnête habilla les visages,
Sur les ais d'un théâtre en public exhaussé,
Fit paraître l'acteur d'un brodequin chaussé.
Sophocle enfin, donnant l'essor à son génie,
Accrut encor la pompe, augmenta l'harmonie,
Intéressa le choeur dans toute l'action,
Des vers trop raboteux polit l'expression,
Lui donna chez les Grecs cette hauteur divine
Où jamais n'atteignit la faiblesse latine.
Chez nos dévots aïeux le théâtre abhorré
Fut longtemps dans la France un plaisir ignoré.
De pèlerins, dit-on, une troupe grossière,
En public, à Paris, y monta la première ;
Et, sottement zélée en sa simplicité,
Joua les Saints, la Vierge et Dieu, par piété.
Le savoir, à la fin dissipant l'ignorance,
Fit voir de ce projet la dévote imprudence.
On chassa ces docteurs prêchant sans mission ;
On vit renaître Hector, Andromaque, Ilion.
Seulement, les acteurs laissant le masque antique,
Le violon tint lieu de choeur et de musique.
N'était qu'un simple choeur, où chacun, en dansant,
Et du dieu des raisins entonnant les louanges,
S'efforçait d'attirer de fertiles vendanges.
Là, le vin et la joie éveillant les esprits,
Du plus habile chantre un bouc était le prix.
Thespis fut le premier qui, barbouillé de lie,
Promena dans les bourgs cette heureuse folie ;
Et d'acteurs mal ornés chargeant un tombereau,
Amusa les passants d'un spectacle nouveau.
Eschyle dans le choeur jeta les personnages,
D'un masque plus honnête habilla les visages,
Sur les ais d'un théâtre en public exhaussé,
Fit paraître l'acteur d'un brodequin chaussé.
Sophocle enfin, donnant l'essor à son génie,
Accrut encor la pompe, augmenta l'harmonie,
Intéressa le choeur dans toute l'action,
Des vers trop raboteux polit l'expression,
Lui donna chez les Grecs cette hauteur divine
Où jamais n'atteignit la faiblesse latine.
Chez nos dévots aïeux le théâtre abhorré
Fut longtemps dans la France un plaisir ignoré.
De pèlerins, dit-on, une troupe grossière,
En public, à Paris, y monta la première ;
Et, sottement zélée en sa simplicité,
Joua les Saints, la Vierge et Dieu, par piété.
Le savoir, à la fin dissipant l'ignorance,
Fit voir de ce projet la dévote imprudence.
On chassa ces docteurs prêchant sans mission ;
On vit renaître Hector, Andromaque, Ilion.
Seulement, les acteurs laissant le masque antique,
Le violon tint lieu de choeur et de musique.
Un jour, il faudra tenter d'écrire la suite de façon aussi concise pour se rendre jusqu'à aujourd'hui!
«La Réponse à un acte d'accusation» de Victor Hugo (moins concise) rend compte de la révolution romantique (hugolienne) dans toute la littérature, et, donc, aussi, au théâtre (elle est là: http://www.lisons.info/Reponse-a-un-acte-d-accusation---Les-contemplations---Livre-I-livre-507.php).
RépondreSupprimerMais il manque l'entre-deux: ce que Marivaux et Goldoni ont fait au 18e.
Quant à Boileau, il ignore tout à fait l'invention de l'opéra (par Péri et Monteverdi notamment au début du 17e) par lequel les inventeurs croyaient ressusciter le véritable théâtre antique et qui est effectivement ce qui lui ressemble le plus à l'époque moderne.
Et i y a une «Suite» à cette «Réponse» dont les derniers vers donnent des frissons tant ils transforment la littérature et l'écrivain en un équivalent de Dieu. Le voici (et surtout le dernier):
RépondreSupprimer... Oui, tout-puissant! tel est le mot. Fou qui s'en joue!
Quand l'erreur fait un noeud dans l'homme, il le dénoue.
Il est foudre dans l'ombre et ver dans le fruit mûr.
Il sort d'une trompette, il tremble sur un mur,
Et Balthazar chancelle, et Jéricho s'écroule.
Il s'incorpore au peuple, étant lui-même foule.
Il est vie, esprit, germe, ouragan, vertu, feu;
Car le mot, c'est le Verbe, et le Verbe, c'est Dieu.