Pour marquer la Fête Nationale de cette année, je retranscris ici un extrait de Vie et mort du Roi Boiteux, de Jean-Pierre Ronfard... peut-être l'oeuvre théâtrale la plus éblouissante par son ampleur, ses nombreuses ramifications et son esprit.
Ce texte raconte, en six volets (qui totalisent, quand ils sont montés dans leur totalité, plus de douze heures de représentation!), la saga de Richard Premier, un roi estropié, tordu, issus d'une famille du quartier de l'Arsenal, en rivalité constante avec la famille Roberge, anciennement régnant sur l'Abitibi. Un théâtre revendicateur... d'un pays, d'une culture, du droit à l'existence, de l'ambition... Un texte aux références multiples - de Shakespeare à Racine, de Einstein au western - et à la verve soutenu tout du long... avec grivoiserie, vulgarité, lyrisme. De la pure poésie théâtreale... et avec tout ça, une mine de rires inépuisable!
Donc, l'extrait que voici est tiré de la quatrième scène du deuxième volet consacré à L'enfance du Roi Boiteux et présente la première véritable prise de parole de Richard comme un serment face au destin:
Richard Premier entre, il porte sa chaussure orthopédique. Il est seul, il s'ennuie. Il joue avec la tortue. Il lui fait sortir la tête. Il la met sur le dos et l'observe longtemps. On entend la musique à bouche. Il donne un coup de pied a la tortue. Il va prendre l'épée enfoncée dans le sable. Il la brandit
Moi, moi Richard Premier, Fils de François mort à la guerre! (Il joue dans le sable, il y trace des lignes assez mystérieuses.) Moi, Richard, fils de François Premier et de Catherine Ragone, la Reine mère, elle-même fille de Filippo Ragone, dit le Débile, l'immortel. (Il joue dans le sable, trace d'autres lignes.) Moi le petit fils de Filippo Ragone et d'Angela Roberge, fille du Roi de l'or, Roberge le vieux père, Seigneur d'Abitibi. (Même jeu.) Moi, Moi, Moi, Richard ici, Richard présent, Richard le seul! Que veulent dire ces lignes dans le sable? Elles mènent à moi. Elles me désignent. Sauf une! Celle-là qui sort du ventre d'Augustine Labelle morte n couches, la première femme de mon père. C'est la ligne inacceptable qui porte un nom au bout comme un poisson de braconnier à la canne à pêche: Alcide Premier.
Il n'est pas juste, puisque mon père est mort, qu'il existe encore deux Premier sur la terre. Je ne supporterai pas d'autre Premier que moi. Le nom d'Alcide me brûle la bouche comme un fruit vert, un citron. Alcide Premier ne peut pas vivre, s'il existe un Richard. Et Richard ne sera jamais le second.
[...] Alcide! qu'a-t-il de plus que moi? Le privilège d'être venu plus tôt au monde? So What! Qu'est-ce que cela signifie? C'est à partir du jour où je suis né que s'élève l'échelle de mon temps. Mon regard et ma main créent le monde où je vis. Rien n'existe avant moi, hors de moi. Seule m'importe ma trace dans le sol. (De sa chaussure orthopédique il brouille le sol.)
[...] Eh bien, moi Richard Premier, moi qui suis né malingre, laid, tordu, disgracié, moi le fils de Catherine Ragone, je saurai, par astuce, reconquérir un trône dont la nature et le hasard des temps semblent m'avoir dépossédé.
Allons, Soleil, ne cesse pas d'éclairer le corps estropié de Richard, car Richard, un jour, égalera ton éclat!
Un texte puissant...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Si vous avez un commentaire à faire, ça peut se passer ici: