samedi 24 août 2013

«Mandement au sujet des comédies» par Mgr de Saint-Vallier

 
Dès le départ de la colonie (la Nouvelle-France), le théâtre a dû combattre l'intransigeance du clergé... comme en fait foi cette lettre de Mgr de Saint-Vallier, évêque de Québec de 1687 à 1727, datée de 1694, à la suite de l'affaire Tartuffe (pièce autorisée en France en 1669 après une longue cabale) qui a provoqué, ici, des remous entre les pouvoirs politiques et religieux (ces-derniers ayant le dessus... pendant au moins les deux siècles et demi qui suivirent!). Ce mandement (dont j'ai souligné les passages les plus instructifs!) aurait donc force loi morale sur la non-émergeance d'un théâtre français au Nouveau-Monde...

MANDEMENT AU SUJET DES COMÉDIES

JEAN, par la grâce de Dieu et du Saint-Siège Apostolique, Evêque de Québec.

A tous les fidèles de notre diocèse, Salut en Notre Seigneur.

L'instruction qui fut faite, le dimanche dix de ce mois, dans l'église de la Basse-Ville pour l'éclaircissement des consciences touchant les comédies qui se jouent dans le monde, nous a donné lieu par les discours qu'elle a fait naître dans les conversations, de découvrir le besoin qu'il y a d'appuyer de notre autorité pour l'affermissement des mêmes consciences les choses qui furent dites, dans cette même instruction que nous nous sommes fait apporter.

Et comme il est de notre devoir pastoral de détourner par tous les moyens qui peuvent dépendre de nous les occasions de péchés qui pourraient perdre les âmes que Dieu nous a confiées, et de les soutenir dans le bien, nous nous croyons obligé de vous publier par un mandement exprès nos sentiments et nos intentions touchant les spectacles et les comédies qui se font dans le monde. C'est pourquoi après avoir approuvé comme nous faisons par le présent Mandement l'Instruction ci-dessus, dont nous avons jugé qu'on pourrait utilement faire distribuer des copies, nous exhortons tous les fidèles de notre Diocèse de faire une sérieuse attention sur le sentiment unanime de tant de personnes illustres en doctrine et en sainteté, qui parlent des comédies qui se jouent dans le monde selon qu'elles sont à présent en usage, enseignent tous que celles mêmes qui sont honnêtes de leur nature ne laissent pas que d'être très dangereuses par les circonstances du temps ou du lieu, ou des personnes, ou de la fin, ou des manières qui ont accoutumé de précéder, d'accompagner et de suivre ces sortes de divertissements, et s'efforcent d'en imprimer à toutes sortes de personnes l'aversion, et tout l'éloignement possible. Nous les conjurons de tout notre cœur pour l'amour de Notre Seigneur de déférer plutôt en ce point par un acquiescement docile aux sentiments des Saints qu'à leur propre lumière et à leur inclination naturelle dont ils doivent se défier.


Mais au regard des spectacles et comédies impies, ou impures, ou injurieuses au prochain, qui ne tendent d'elles-mêmes qu'à inspirer des pensées et des affections tout-à-fait contraires à la Religion, à la pureté des mœurs, et à la charité du prochain, comme sont certaines pièces de théâtre qui tournent la piété et la dévotion en ridicule, qui portent les flammes de l'impureté dans le cœur, qui vont à noircir et à déchirer la réputation, ou qui sous le prétexte apparent de réformer les mœurs ne servent qu'à les corrompre et sous couleur de reprendre le vice l'insinuent adroitement et avec artifice dans l'âme des spectateurs, comme pourrait être la comédie du Tartuffe, ou de l'imposteur, et autres semblables, Nous déclarons que ces sortes de spectacles et de comédies ne sont pas seulement dangereuses, mais qu'elles sont absolument mauvaises et criminelles d'elles-mêmes et qu'on ne peut y assister sans péché, et comme telles nous les condamnons et faisons défenses très expresses à toutes les personnes de notre Diocèse de quelque qualité et condition qu'elles soient de s'y trouver


Et à ce que personne ne puisse prétendre cause d'ignorance, nous voulons que notre présent mandement soit lu et publié dans Québec et ailleurs ou besoin sera au prône de la messe et dans les autres assemblées de dévotion qui se tiennent rêglément au dit Québec. En foi de quoi nous l'avons signé de notre main et fait contresigner par notre secrétaire et y apposer le sceau de nos armes.

Donné à Québec le 16 de janvier mil six cent quatre vingt quatorze.

JEAN, Evêque de Québec.
Par Monseigneur,
Levallet.

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