Le Conseil Québécois du Théâtre (communément nommé le CQT) a diffusé depuis quelques jours, sur ses plateformes (et sur celles de nombreux acteurs du milieu théâtral), son Manifeste pour un Québec qui fait rêver, réclamant, encore une fois, à quelques jours du dépôt du budget provincial, un réinvestissement majeur dans la Culture.
Voici ce manifeste: 
Manifeste pour un Québec qui fait rêver
Monsieur le Premier ministre, Philippe Couillard
Monsieur le Président du Conseil du trésor, Sam Hamad
Monsieur le ministre de la Culture et des Communications, Luc Fortin
Monsieur le ministre des Finances, Carlos Leitão
Nous toutes et nous tous du milieu théâtral québécois croyons qu’il est grand temps de réinventer un Québec qui fait rêver.
Nous prenons aujourd’hui parole en faveur d’une action inspirée et  résolue de la part du gouvernement qui permette de donner un souffle  nouveau au milieu des arts et de la culture. Nous, acteurs, metteurs en  scène, auteurs, concepteurs, techniciens,  médiateurs diffuseurs,  artisans et travailleurs culturels, vous demandons un réalignement  majeur et visionnaire, un engagement réel et concret dans le prochain  budget provincial. L’imaginaire a un urgent besoin de retrouver ses  ailes, de reprendre sa place dans le cœur des Québécoises et des  Québécois.
Nous ne nous lancerons pas ici dans une litanie de chiffres. Qu’il  suffise de rappeler que notre milieu n’a pas connu de réinvestissement  de fonds publics depuis 2003. Le milieu des arts et de la culture  engendre cependant, bon an mal an, des retombées d’environ 10 milliards  de dollars dans le PIB québécois. Au-delà de l’apport économique, nous  contribuons chaque jour, par le peaufinage d’un rôle dramatique, par  l’écriture d’une ligne de dialogue, par le montage d’une image scénique,  par la confection d’un costume ou d’une marionnette, par la révision  d’un budget de production archi-serré, au devenir de notre société, à  l’édifice de notre âme collective. À ce que nous laisserons en héritage.
En cette ère de mondialisation et de numérisation des échanges, les  arts et la culture sont plus que jamais le ferment de notre identité.  Dans le contexte d’une langue française fragilisée à Montréal, d’une  immigration diversifiée qui cherche ses repères, de régions qui ont  besoin de poursuivre leur développement, nous croyons apporter  quotidiennement des éléments de réponse à ce questionnement identitaire  que vit et que vivra toujours le Québec.
On ne se cachera pas que les derniers mois ont été difficiles. Les  coupes de 2,5 millions qu’a dû subir le Conseil des arts et des lettres  du Québec (CALQ) en juin 2015 ont bouleversé l’économie déjà fragile du  milieu. Des postes ont été supprimés dans les organismes de services aux  artistes. Des tournées et des projets de coproductions à  l’international ont été brutalement interrompus. Des compagnies qui  espéraient recevoir le signal que leur travail de recherche et de  création des dernières années soit enfin reconnu par l’octroi d’une  subvention au fonctionnement ont été amèrement déçues. Certes, les fonds  pour les arts numériques ont connu une légère augmentation. Mais les  programmes du CALQ, ceux qui sont destinés à l’ensemble des artistes et  des organismes, sont en constante décroissance due à l’augmentation du  coût de la vie. Nous nous sommes réellement appauvris.
Et pourtant, les créateurs d’ici font l’envie du monde entier. On  chante leurs louanges à Berlin, à Tokyo, à Paris, à Port-au-Prince. Ce  n’est pas la vitalité artistique qui manque au Québec. Or, trop  d’excellents projets qui font preuve d’une démarche novatrice, qui  questionnent notre histoire et notre identité, qui intègrent la  diversité culturelle et les Autochtones, qui mélangent les formes d’art,  doivent malheureusement être mis de côté, car les fonds manquent. Des  idées sublimes ne verront jamais le jour. De très bons créateurs d’ici  quittent le Québec chaque année pour aller pratiquer leur art là où les  conditions pour le faire sont meilleures. D’autres, et ils sont  nombreux, ont tourné le dos à ce qui pourtant les remuait profondément  et créait de la beauté autour d’eux. Cette situation ne peut plus durer.
Nous crions haut et fort notre ardent désir, notre envie  incommensurable d’un Québec qui fait rêver. Notre travail consiste à  ouvrir les portes de l’imaginaire, à créer des mondes possibles, à  repousser les limites des gestes et des mots, à donner aux enfants  l’élan qu’il leur faut pour vouloir changer le monde. Notre cri du cœur,  il est pour ces 60 % d’enfants québécois qui traversent leur primaire  et leur secondaire sans jamais avoir la chance d’assister à une  représentation théâtrale donnée par les quelque 40 compagnies qui se  dévouent au théâtre pour les jeunes publics. Il est pour ces jeunes  parents dont le budget ne permet pas l’achat d’un billet de théâtre. Il  est pour ces personnes issues de communautés culturelles qui voudraient  mieux connaître l’art et la culture d’ici, mais qui n’y ont pas accès.  Il est pour ces lieux de diffusion en région qui ne fonctionnent pas à  leur pleine capacité, faute de moyens adéquats. Il est pour toutes ces  femmes et pour tous ces hommes qui méritent qu’on aille davantage à leur  rencontre, qu’on puisse partager avec eux ce qui donne un sens à nos  vies. Qu’on leur donne envie de rêver.
Le théâtre est un des derniers lieux où il est possible de se  regarder agir, de prendre une pause bienfaisante, pour nous observer les  uns les autres avec lucidité. Nous croyons que cet espace  d’introspection et de regard vers le monde est essentiel pour le Québec.  Nous, gens de théâtre, participons du lien vital entre le peuple  québécois et la société qu’il incarne.
Dans le cadre de la révision prochaine de la Politique culturelle du  Québec, nous avons la conviction qu’il est grand temps de poser un geste  marquant et visionnaire, de prendre à bras le corps une position sans  équivoque en faveur des arts et de la culture dans le prochain budget.  Nous sommes convaincus qu’il ne s’agit pas là d’un luxe pour le Québec,  mais d’un investissement fondamental, nécessaire et urgent, pour un  milieu dont les besoins sont immenses.
Maintenant que votre gouvernement a atteint son objectif du retour à  l’équilibre budgétaire, il est temps de nous en montrer le sens. Quelle  est votre vision de l’avenir proche et lointain ? Quel sera le legs de  votre gouvernement pour les générations futures ? Comment seront-elles  marquées, investies, touchées, ébranlées, éblouies, poussées vers le  haut, fières de qui elles sont, fières d’être partie intégrante de la  plus grande nation francophone d’Amérique ? Et comment les communautés  anglophones et les onze nations autochtones qui vivent sur ce territoire  se sentiront-elles incluses dans la société québécoise de demain ? Ces  questions, nous devrons les aborder de front, tous ensemble, pour  redevenir les acteurs de notre propre histoire et reprendre la marche en  avant du changement.
Nous, acteurs, metteurs en scène, auteurs, concepteurs, techniciens,  médiateurs, diffuseurs, artisans et travailleurs culturels, voulons  contribuer à ce nouvel élan. Nous avons une foi inébranlable en la  capacité du peuple québécois, un peuple inspiré, éduqué, curieux,  créatif et empathique, d’accomplir de grandes choses. Nous souhaitons  plus que jamais être une des courroies de transmission de la  construction d’un territoire propice aux idées et aux rêves. Nous  voulons travailler avec vous et avec l’ensemble de la société, que nous  habitons dans notre chair et que nous aimons.
Choisissons, collectivement, de recommencer à rêver. Regardons vers  l’avenir avec confiance et fierté, mus par une force identitaire et  culturelle d’une puissance égale à nos capacités d’innovation.
Nous vous invitons aujourd’hui à être ce gouvernement courageux.
Aidez-nous à rendre possible ce Québec qui fait rêver.
Au nom du Conseil québécois du théâtre,
Jean-Léon Rondeau
Président

 
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