Jean Béraud (à ne pas confondre avec son homonyme, peintre)
C'est euphémisme de dire que le théâtre au Québec a pris du temps pour s'ancrer au territoire. Pas qu'il était absent pendant les 350 premières années. Non. Juste que sa pratique - et au premier chef, son écriture - était calquée sur des pratiques étrangères (européennes et américaines). Le théâtre québécois (ou, à cette époque, canadien) a eu une fort longue gestation.
Pourtant, au cours des décennies, de nombreux auteurs de théâtre ont atteint une certaine reconnaissance: Joseph Quesnel, Pierre Petitclair, Félix-Gabriel Marchand, Antoine Gérin-Lajoie et Louis Fréchette, Henri Letondal,Henry Deyglun... pour ne nommer que ceux-là (et en mettant de côté le théâtre burlesque). Auteurs qui, par ailleurs, ont vu leurs oeuvres traverser le temps beaucoup plus par intérêt historique plus que par valeur dramatique.
Car il suffit de jeter un oeil sur ces textes pour vite se rendre compte que le ton, la forme, la langue tendent et cherchent à se rapprocher des canons français.
Au milieu des années 1930, certains réclament un répertoire véritablement (et enfin!) national... comme Jean Béraud, qui publie en 36, Initiation à l'art dramatique... où il y va d'un réquisitoire sévère sur la production dramatique de cette époque:
J'ai entendu en ces dernières années plusieurs pièces d'auteurs canadiens. J'ai fait surtout les constatations suivantes: d'abord qu'il ne faudrait pas dire que ce sont des pièces canadiennes, ensuite que nos auteurs manquent remarquablement d'audace.
Pourquoi dit-on d'une pièce qu'elle est française, allemande, italienne ou américaine? Parce qu'évidemment elle porte des traits distinctifs; une amoureuse française ne raisonne pas comme une américaine, et il est bien certain que placés dans la même situation, un personnage italien et un personnage allemand l'envisageront différemment. Leur esprit et leur langage ne seront pas les mêmes, parce qu'il y a chez chacun un atavisme contre lequel on ne se défend pas, que leur esprit a été moulé dans des circonstances nationales ou domestiques qui diffèrent.
La première observation qui m'est venue en entendant ces pièces écrites chez nous, c'est que leurs personnages parlent comme parleraient des personnages français. Il n'y a pas chez eux un trait de caractère, une pensée, un cri qui révèlent l'empreinte de notre façon de vivre ou de notre «mentalité». Ces personnages subissent leur sort ou s'en défendent, parlent et agissent comme des êtres sans attaches nationales [...].
Je me demandais, en écoutant ces pièces, si reprises dans une cinquantaine d'années, elles allaient apporter à cette génération-là un portrait bien caractérisé de notre époque. Eh bien! non. Ces personnages-là sont de tous les temps, en ce sens qu'ils n'ont ni âge ni identité précise. [...]
Et j'en viens à ma seconde constatation: le manque d'audace. [...] Non seulement ces personnages ne disent-ils rien qui nous éclaire sur l'esprit de notre temps, mais ils ne risquent pas une parole qui ne soit du banal bavardage de tous les jours. Pas la moindre esquisse de thèse ou d'opinion; tous ces personnages parlent comme des petits enfants bien sages. La forme de leur conversation est celle de personnages déjà entrevus ailleurs, au théâtre ou entre les couvertures d'un livre. Il y manque une vie nouvelle, des idées d'aujourd'hui et d'ici. Ils parlent bien, ces gens, très bien, mais hélàs! ils ne disent rien ou du moins rien de neuf.
[...] On doit se mettre à écrire pour le théâtre, mais à la condition expresse d'avoir quelque chose à dire et de savoir comment le dire.
À partir des années 40, la dramaturgie québécoise se développera rapidement, en réussissant à se mettre en phase avec le peuple d'où elle émergera.
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