En juin 1939, dans la Russie stalinienne (dans la foulée des grandes purges), Vsevolod Meyerhold est arrêté et inculpé de formalisme, de trotskysme, de sympathies avec l'ennemi, de complot contre le peuple. Emprisonné, il est soumis à la torture afin de lui faire avouer les pires crimes.
Bien que physiquement et moralement brisé, dans un moment de lucidité, en janvier 1940, il écrit plusieurs lettres à Molotov, au procureur de l'URSS, pour se rétracter, donnant, du même coup, un aperçu de sa terrible détention et des supplices qu'il subit (le tout est tiré du bouquin Vsevolod Meyerhold - Écrits sur le théâtre - Tome IV, traduits par Béatrice Piccon-Valin):
Lettre à V. MOLOTOV
2 Janvier 1940
Au Président du Conseil des Commissaires du Peuple de l'URSS
Viatchlestav Mikhaïlovitch Molotov
le détenu Meyerhold-Raïk Vsevolod Emilievitch
(date de naissance 1874, ex-membre du Parti communiste depuis 1918, nationalité allemande)
DÉCLARATION
[...] Quand les juges d'instruction ont déclenché, contre moi, l'inculpé, leurs méthodes d'intervention physique et qu'ils y ont encore ajouté une «attaque psychique», ces deux choses ont suscité en moi une peur si gigantesque que ma nature s'est découverte jusqu'à ces racines mêmes...
Mes tissus nerveux sont apparus situés très près de mon enveloppe corporelle, et ma peau s'est révélée aussi tendre et sensible que celle d'un enfant. Mes yeux se sont montrés capables (en présence de cette douleur physique et morale insupportable pour moi) de verser des torrents de larmes. Couché au sol face contre terre, j'ai appris que j'étais capable de me contorsionner, de me tordre de douleur et de hurler comme un chien que son maître bat avec un fouet. [...]
Dans une autre déclaration, il y va de cette description:
[...] Ces dépositions mensongères qui m'ont été extorquées sont la conséquence du fait que, pendant toute la durée de l'instruction, j'ai dû subir, moi, un vieillard de soixante-cinq ans nerveux et malade, des violences physiques et morales que je n'ai pas pu supporter, et je me suis mis à submerger d'inventions monstrueuses mes réponses au juge d'instruction. Je mentais, le juge d'instruction notait, il chargeait encore ces inventions, il dictait lui-même à la secrétaire certaines réponses qu'il donnait à ma place, et c'est tout cela que j'ai signé. [...].
Une autre note donne encore plus de détails:
[...] On m'a battu, moi un vieillard malade de soixante-six ans, on m'a couché sur le plancher, face contre terre, on m'a frappé la plante des pieds et le dos avec un tuyau de caoutchouc noué; on m'a fait asseoir sur une chaise, on m'a frappé avec le même objet les jambes (d'en haut, avec une grande violence) et les endroits situés entre les genoux et la partie supérieure des jambes. Les jours suivants, alors que dans ces parties des jambes s'était déclarée une abondante hémorragie interne, ce sont les ecchymoses rouges-bleues-jaunes que l'on frappait de nouveau avec ce caoutchouc [...].
Et le 13 janvier, il ajoute:
[...] Lorsque la faim (je ne pouvais rien avaler), les insomnies (pendant trois mois), les palpitations nocturnes et les accès d'hystérie (je versais des torrents de larmes, je tremblais comme on tremble dans un accès de fièvre chaude) m'ont laissé diminué, tassé, amaigri, vieilli de dix ans, tout cela a effrayé mes juges d'instruction. On s'est mis à me soigner avec zèle [...] et à me forcer à manger. [...] Le juge d'instruction répétait sans cesse et menaçait : «Si tu n'écris pas (ce qui voulait dire - invente, alors !?), nous te frapperons de nouveau, nous ne laisserons intacte que ta tête et ta main droite, et nous ferons du reste un morceau informe, sanguinolent, déchiqueté». J'ai tout signé jusqu'au 16 novembre 1939. Je rétracte ces dépositions qu'on a obtenues par la force et je Vous supplie, Vous, le chef du gouvernement, sauvez-moi, rendez-moi la liberté. J'aime ma patrie, et je suis prêt à lui consacrer toutes les forces des dernières heures de ma vie.
Ces supplications se rendront-elles à l'intéressé... ou plus haut encore? Au début du mois de février 1940, il sera abattu et jeté dans une fosse commune. Et c'est ainsi que se termine la vie d'un immense créateur, d'un révolutionnaire du théâtre...
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