Photographie de Marcel Dubé tirée de BAnQ
Enfin, pas tant de son théâtre (ou de ses personnages) que du milieu canadien-français dans lequel celui(ceux)-ci évolue(nt).
Fort engagé politiquement pour les associations d'artistes et d'écrivains de son temps... chroniqueur acéré pour différents médias... auteur (archi)prolifique d'articles, de scénarios documentaires, de traductions, de téléthéâtres, de téléromans et bien entendu, de pièces dramatiques dans une époque où tout était à faire... pendant une vingtaine d'années, Dubé a transcrit - sans fard et sans ménagement - sa vision de son pays et de ses habitants, et c'est là que réside la force de son oeuvre.
Voici, en deux passages puissants (tirés de la biographie Marcel Dubé - Écrire pour être parlé de Serge Bergeron qui vient de paraître chez Léméac) , comment il définit, au milieu des années '60 (en faisant référence à sa pièce Les Beaux Dimanches), son travail par rapport à la société d'alors:
[Page 201] Il aurait été facile pour moi de ne m'en tenir qu'à une classe de la société canadienne-française, la classe défavorisée. Je me suis efforcé au contraire de toucher divers milieux. Mais c'est finalement le même milieu canadien-français. Et le milieu canadien-français, je le vois comme ça, larvaire, incapable d'exprimer, sans force et sans culture, une société qui se survit - dans les classes privilégiées du moins - en prenant un coup et en convoitant la femme du voisin. Mon théâtre témoigne d'une servilité à un empêchement d'être. Mes personnages vivent une dépression initiale, essentielle. Même s'il est destruction et préconscience, mon théâtre est un appel à la vie et à la conscience, mais je ne sais pas quelle est cette vie, quelle est cette conscience. Mes personnages sont des ratés qui vivent leur destin jusqu'au bout. Tout chez eux part de l'émotivité et retourne à l'émotivité. Moi, j'écris au niveau des viscères.
Quelques années auparavant, en 1960, il y allait de cette autre description (toujours tirée du même bouquin), comme une variation sur le même thème:
[Page 155] L'homme d'ici, qui finira un jour par être semblable à celui d'ailleurs. L'homme abîmé et soumis que l'on rencontre au détour de la vie quotidienne. L'homme à demi vaincu qui a fumé patiemment l'opium de son histoire. L'homme qui sourit et qui souffre sans savoir pourquoi, devant qui les politiques et les clercs ont fait miroiter les illusions d'une grandeur à toute épreuve et d'une victoire inachevée. «Ton histoire est une épopée», lui demande-t-on de chanter sans cesse, tout en s'assurant qu'il continuera d'y croire et qu'il en restera là. Replié au fond de sa petite paroisse, protégé par l'ignorance que les élites ont cultivée chez lui avec amour, il croit posséder la seule vérité et la seule façon de vivre, pendant qu'à son insu, alors qu'il sommeille dans une assurance béate, les puissances mercenaires de la ruse, qu'il ne se soucie plus de reconnaître, tentent d'accaparer sa patrie, morceau par morceau. Ses droits, ses libertés à la petite semaine, on va les lui laisser pourvu que l'on reparte avec une bonne livre de chair fraîche.
Quand on lit tout ça, l'envie est grande de partir à la conquête de ce répertoire! Parce qu'il me semble avoir là de bonnes clés pour appréhender ses textes et ses personnages.
De mon analyse tout à fait personnelle et subjective, c'est un répertoire fortement inscrit au seuil de la Révolution Tranquille (pour une grande part). Un théâtre qui se pose comme un premier jalon, une reconnaissance des faits, d'un état tout déprimant soit-il... pour qu'advienne - si possible - une mutation, une transformation que certains appelleront avenir meilleur.
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