L'un des sujets récurrents de ce blogue est l'opposition de l'Église au théâtre. Cette récurrence occulte pourtant un fait indéniable, beaucoup plus nuancé.
Dans toute l'histoire du théâtre (tant la nôtre que celle universelle), l'Église occupe souvent (et longtemps) un rôle paradoxal: de contemptrice de l'art dramatique à ennemie acharnée contre les jeux et les comédiens n'hésitant pas à lancer les anathèmes et les excommunications, à exercer la mise à l'index et la censure... elle est aussi la précieuse gardienne de la tradition dans les moments chaotiques et les passages à vide (par les guerres, les famines, les bouleversements sociaux) et sait se faire creuset d'un renouveau scénique.
Gaston Baty - l'un des quatre grand metteur en scène du Cartel français - y va d'une bonne métaphore dans Rideau Baissé, paru chez Bordas en 1949:
Aux nécropoles égyptiennes, pour nourrir l'âme toujours errante, les prêtres ont enseveli près du mort des grains de blé, et dans la nuit des chambres sèches, le blé ne s'est pas corrompu. Lorsque les hommes osèrent violer la paix millénaire des sépulcres, ils brisèrent les vases où dormait la semence et la rendirent à la bonne terre humide sous le soleil. Et le blé deux fois plus vieux que le christianisme est de nouveau monté en épi. Ainsi l'Église, durant les siècles noirs [entre l'Antiquité et le Moyen-Âge], préservait la semence du Drame.
Toujours selon Baty, ce que l'Église à combattu par ses Pères, ce n'est pas le grand répertoire - Eschyle, Euripide, Sophocle, Aristophane et quelques Latins - mais la déchéance de ces genres qui ont mené vers la pantomime grivoise et licencieuse. Sans elle, le théâtre aurait cessé d'exister. Rien de moins.
Puis la terre trembla sous le galop des hordes. [...] Le monde antique avait été submergé sous les invasions barbares, et, pareils aux pêcheurs qui parfois écoutent les cloches de la ville engloutie, quelques clercs gardaient seuls le souvenir confus de ce qui avait été le Drame. Alors, toutes les lumières éteintes, hormis la lampe des sanctuaires, l'Église offrit asile aux débris des antiques civilisations. Elle rangea au long de ses nefs les colonnes des temples ruinés, ouvrit les couvent aux vieux poètes, et recueillit dans la liturgie, le principe essentiel du Théâtre.
C'est par l'Église que viendront les mystères et les jeux. C'est de ses parvis que s'élanceront les farces et le théâtre profane. C'est, à notre niveau, par elle que le germe théâtral continuera dans une Nouvelle-France austère et dans une colonie britannique aux enjeux identitaires. C'est par elle, enfin, que la professionnalisation québécoise prendra ses racines.
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