mardi 7 avril 2009

Quelle culture théâtrale québécoise?


J'aurais pu titrer ce billet d'autre façon: pourquoi le théâtre professionnel québécois m'apparaît-il pauvre (dans le sens de manque de profondeur...) ou si peu attaché à la culture populaire?

D'accord, c'est radical... mais ce n'est pas un déni de son existence, loin de là. Ni un mépris; je l'adore et le respecte... Il s'agit plutôt d'un questionnement sur les racines de cet art qui, historiquement, n'a jamais eu d'importance majeure dans notre société nordique (ce qui n'enlève rien aux diverses anecdotes qui parsèment son histoire!)... quoi qu'on en pense... et que la source de son problème de désaffection qui semble nous affecter (!) lui est, finalement, fondamentale.

Le théâtre, maintenu longtemps sous une chape chrétienne toute puissante, n'a jamais eu, ici (comparativement à l'Europe), de poids social. Jamais ce ne fut un médium de masse. Il faut dire qu'avant 1948 (soit pendant 300 ans!), outre quelques expériences amateures (contrôlées par les religieux) ou quelques tentatives de professionnalisation avortées, le théâtre, sur notre territoire, en était un de tournées étrangères à l'ombre des classiques français et des variétés américaines... et déjà, ces représentations n'étaient pas populaires mais bien élitistes. La clientèle-cible était la bourgeoisie métropolitaine. Le théâtre était affaire de vedettes... et de sorties sociales. Peut-être est-ce de là que notre théâtre est, de fait, synonyme de divertissement.

Qui plus est, si l'on considère sa date de fondation officielle, soit 1948, pour les littéraires et l'avènement de Tit-Coq, il faut aussi prendre en considération que déjà la radio régnait... et que la télévision approchait... et transformerait l'art dramatique par les ondes: le radiothéâtre, le téléthéâtre... Ce n'est donc pas le théâtre professionnel qui marquera l'imaginaire collectif, mais plutôt les personnages des feuilletons, des téléromans... suite achevée.

Oui. Notre théâtre est fort jeune et sa naissance ne s'est pas faite sous la tutelle de théories formelles ou esthétiques ni même de thèses... non. Notre théâtre est né identitaire et le restât pendant les dizaines d'années qui nous séparent de ses début: Gratien Gélinas, Marcel Dubé, Yves Thériault, Michel Tremblay... Le sujet de prédilection: la famille. Pas le monde. Pas les bouleversements sociaux. Pas les grandes idéologies. Non. La famille! Bon. Je généralise... mais n'empêche...

Pour paraphraser Dan Hanganu (architecte québécois en vedette dans La Presse de samedi), je crois que dans le Nouveau Monde comme au Québec, se construire [une supposée tradition théâtrale] est une façon de récupérer ce qu'on a jamais eu. Oui, notre théâtre a évolué (particulièrement depuis les années 80) de façon remarquable. Oui, notre théâtre est admirable. Pourquoi ne touche-t-il pas, alors, le public? Une réponse possible... Parce que le théâtre ne résonne malheureusement pas dans notre mémoire ancestrale... Notre théâtre est un art sans racine.
____________________________

Il a fallu près de trois siècles pour que le théâtre joué sur le territoire du Québec devienne le théâtre de la société québécoise. L'évolution de la collectivité - sur les plans politique, social, économique, moral et intellectuel - a permis que s'opèrent plusieurs renversements; longtemps sporadique, l'activité théâtrale est devenue continue; officiellement interdite et combattue, elle a été tolérée puis reconnue; boudée par le public, elle a fini par conquérir une place importante dans les pratiques culturelles; jadis affaire privée, elle bénéficie maintenant du soutien de l'État; redevable pendant plus de trois siècles aux apports étrangers, elle est aujourd'hui pleinement assumée par les praticiens et la collectivité.
(Madeleine Greffard, Jean-Guy Sabourin, Le Théâtre québécois)



5 commentaires:

  1. Je suis actuellement à Montréal où j’ai la chance d’exercer mon métier de comédienne en dehors de la scène régionale. Quelle opportunité extraordinaire, l’occasion de rencontrer un autre public. Je parcourais ton blogue depuis un petit moment, avant qu’un appel de chez moi vienne interrompre ma lecture. Il est 11h50… soudain j’ai le cœur brisé… Je viens tout juste d’apprendre la perte d’une personne exceptionnelle, la mort de mon beau papa et je suis trop loin de mon amoureux pour le serrer dans mes bras.
    C’est la deuxième fois que je me retrouve avec une si brutale réalité… et je devrai monter sur scène ce soir? Je monterai ce soir, je remonterai demain et après demain, en pensant à mon petit Kenven (décédé en 87 alors que je jouais dans le spectacle Les milles Grues à Montréal) et à mon beau père Cyprien Potvin qui vient tout juste de nous quitter. Et je trouve ce métier bien cruel.
    Guylaine

    RépondreSupprimer
  2. Tu sais, Guylaine, Jean-Louis Barrault parle, dans ce cas, de la loi du cirque - cruelle et pourtant grisante - qui peut se transposer dans une sentence lapidaire: «the show must go on»...

    Métier cruel? oui.

    RépondreSupprimer
  3. On n'a pu renverser le pouvoir de l'Église au Québec qu'après 1960. On l'a fait en Angleterre au 16e siècle (juste avant Shakespeare) et après l'intervalle puritain (avant Charles II, sous Cromwell cet intervalle) au 17e.
    On a renversé l'Église en France à la Révolution: avant, tout ce qui montait sur scène était excommunié. On n'en faisait donc que dans sa jeunesse puis on se convertissait et on abandonnait le théâtre pour faire son salut.
    L'Église =qui est une énorme troupe de théâtre avec ses costumes et ses représentations fictives- est jalouse de toute autre forme de représentation.
    Et les représentations qu'elle donnait pour sa part (messes et vêpres) ennuyaient.
    Le peuple fuit encore le théâtre parce qu'il pense que c'est encore l'Église, laquelle est toujours là, au moins dans le souvenir.
    Quand ce souvenir sera effacé (et l'institution détruite à jamais), le théâtre, débarrassé des excommunications et des représentations connes de la transformation magique de vin et de pain en chair divine, pourra briller enfin, ici comme ailleurs.
    (Excusez-moi de la longueur du discours et de sa passion anti-ecclésiastique).

    RépondreSupprimer
  4. Cette thèse du théâtre éclipsé par la religion est valable... mais le tout demanderait une grande étude anthropologique! L'Église catholique romaine québécoise (!) a-t-elle nui ou non à l'émergence d'une culture théâtrale professionnelle plus avant dans le temps?

    RépondreSupprimer
  5. Elle a nui, elle nuit. Elle nuira à tout tant qu'elle sera là in sæcula sæculorum.

    RépondreSupprimer

Si vous avez un commentaire à faire, ça peut se passer ici: