mardi 8 février 2011

Le public d'autrefois


Il y a quinze ans que nos théâtres étaient des lieux de tumulte [...]. Les têtes les plus froides s'échauffaient en y entrant, et les hommes sensés y partageaient plus ou moins le transport des fous. On entendait, d'un côté, place aux dames; d'un autre côté, haut les bras, monsieur l'abbé; ailleurs, à bas le chapeau; de tous côtés, paix là, paix la cabale. On s'agitait, on se remuait, on se poussait; l'âme était mise hors d'elle-même. Or, je ne connais pas de disposition plus favorable au poète. La pièce commençait avec peine, était souvent interrompue; mai survenait-il un bel endroit? c'était un fracas incroyable, les bis se redemandaient sans fin, on s'enthousiasmait de l'auteur, de l'acteur et de l'actrice. L'engouement passait du parterre à l'amphithéâtre, et de l'amphithéâtre aux loges. On était arrivé avec chaleur, on s'en retournait dans l'ivresse; les uns allaient chez des filles, les autres se répandaient dans le monde; c'était comme un orage qui allait se dissiper au loin, et dont le murmure durait encore longtemps après qu'il était écarté. Voilà le plaisir. Aujourd'hui on arrive froids, on écoute froids, on sort froids, et je ne sais où l'on va.

Telle est la description du public de la première moitié du 18ième siècle écrite par Denis Diderot (cité dans un ouvrage de A. Jullien, La comédie et la galanterie au XVIIIième siècle: au théâtre, dans le monde, en prison). Parfois, il me semble qu'un public un peu plus turbulent ferait du bien dans nos salles...


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