Nous avons plaisir à regarder les images les plus soignées
des choses dont la vue nous est pénible dans la réalité,
par exemple les formes d'animaux parfaitement ignobles ou de cadavres.
Poétique, 48 b 9
Ce que le poète doit produire, c'est le plaisir qui, par la représentation,
provient de la pitié et de la frayeur.
Poétique, 53 b 12
La tragédie, en représentant la pitié et la frayeur,
réalise l'épuration de ce genre d'émotions.
Poétique, 49 b 24
Ce sont là, les énoncés qui mènent, chez Aristote, à la fort complexe et discutée notion de catharsis que doit provoquer le théâtre (entendre ici, la tragédie). Quiconque a eu des cours d'histoire des arts dramatiques s'est vu confronté à cette théorie et a dû, au moins une fois j'imagine, la redonner dans ses propres mots au cours d'un examen!
Voici donc une petite description synthétisée, relativement claire, tirée de l'Introduction aux grandes théories du Théâtre de Jean-Jacques Roubine, publié en 1990 chez Bordas:
La finalité [du plaisir théâtral] n'est pas le plaisir lui-même, mais l'amélioration et l'apaisement du coeur. [...]
C'est là énoncé le fameux principe de la catharsis sur quoi se pencheront des générations de glossateurs. Or ce terme qui n'a jamais trouvé de traduction irréfutable (purgation? purification?) Aristote ne l'utilise qu'une seule fois et ne juge pas nécessaire d'en proposer une définition explicite, comme s'il s'agissait d'un concept trivial d'une utilisation tout à fait courante. Cependant, dans la Rhétorique, il élabore une définition des deux émotions motrices de la catharsis.
Ces deux émotions douloureuses, explique-t-il, se distinguent par l'orientation de l'affect. Dans le cas de la pitié, il s'agit d'une émotion altruiste: je m'apitoie au spectacle de la souffrance qu'un homme subit sans l'avoir mérité. La frayeur, elle, est une émotion égocentriste: je suis effrayé à l'idée que je pourrais, moi-même, essuyer la calamité à la représentation de laquelle j'assiste.
[...]
Le paradoxe de la catharsis est que le plaisir de la représentation procède de deux émotions qui sont éprouvés comme désagréable.
Le plus fascinant, c'est le fait qu'Aristote ait rédigé sa Poétique autour de 335 av. J.-C.... mais plus d'un millénaire plus tard, l'aristotélisme (et donc, cette catharsis) prendra le haut du pavé au sortir de la Renaissance pour s'établir comme fondement du classicisme français!
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