samedi 20 janvier 2024

Comédien-ne vs marionnette



Voici (tirée de l'anthologie Les mains de lumières de Didier Plassard, paru en 1996 aux Éditions Institut International de la Marionnette) une belle description de Meyerhold - il y a longtemps qu'il n'était apparu sur ce blogue - concernant l'art de la marionnette et du questionnement qu'il apporte sur l'art de l'interprète (et vice-versa). Un bel exemple de son théâtre de la convention.

Soit deux théâtres de marionnettes. Le directeur du premier veut que sa marionnette soit semblable à l'homme, dotée de tous ses traits quotidiens et de ses particularités. Tout comme le païen exigeait de son idole qu'elle hochât la tête, le maître des jouets exige de sa marionnette qu'elle émette des sons pareils à la voix humaine. Dans son désir de reproduire la réalité telle qu'elle est, notre directeur perfectionne sans cesse sa marionnette et la parachève, jusqu'à ce que lui vienne à l'esprit la solution la plus simple de ce problème compliqué: le remplacement de la marionnette par l'homme. 

Le second directeur constate que, dans son théâtre, ce qui amuse le public, ce ne sont pas seulement les saynètes pleines d'esprit que jouent les marionnettes, mais aussi ce fait (et peut-être est-ce l'essentiel) que les mouvements et les situations des marionnettes, en dépit de leur intention de reproduire la vie sur scène, n'ont absolument aucune ressemblance avec ce que le public voit dans la vie. 

Lorsque je regarde jouer les acteurs d'aujourd'hui, il m'apparaît toujours clairement que ce que j'ai sous les yeux, c'est le théâtre de marionnettes perfectionné de notre premier directeur, c'est-à-dire celui où l'homme  replacé la marionnette. Ici l'homme ne le cède pas d'un pouce à l'aspiration de la marionnette à contrefaire la vie. Si l'homme a été appelé à remplacer la marionnette, c'est qu'il est le seul capable de parvenir dans la reproduction de la réalité à ce qui n'est pas au pouvoir de la poupée: s'identifier à la vie le plus fidèlement possible. 

Le second directeur, qui a tenté lui aussi d'amener sa marionnette à contrefaire l'homme vivant, n'a pas tardé à s'apercevoir que le perfectionnement de son mécanisme fait perdre à la poupée une partie de son charme. Il a même cru comprendre que la marionnette refusait de tout son être cette modification barbare. Ce directeur s'est repris à temps, quand il a compris que les aménagements avaient des limites qu'il ne fallait pas dépasser sous peine d'en venir à une inévitable substitution de l'homme à la marionnette.

[...] La marionnette ne voulait pas s'identifier complètement à l'homme, parce que l'homme qu'elle représente est un homme inventé. [...] Sur ses tréteaux, c'est comme ça et pas autrement, non pas d'après les lois de la nature, mais parce que telle est sa volonté, et parce que ce qu'elle veut, ce n'est pas copier mais créer.

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