mercredi 2 septembre 2009

De la scène à la littérature...

Lu dans L'Art du théâtre (p.23) de Henri Ghéon publié en 1944... ce petit extrait assez concis et explicite sur la nature même du théâtre:


Ni Eschyle, ni Shakespeare, ni Sophocle, ni Calderon n'ont écrit leurs drames pour la lecture, mais pour la scène et une certaine scène, pour le public et un cerain public, pour une réalisation immédiate et, avouons-le, passagère. À quelques siècles de distance, en dépit de la plus sûre tradition et des documents les moins contestables, nous n'imaginons même pas la façon dont la Champmeslé ou la Du Parc interprétait Racine. Les plus habiles reconstitutions qu'on nous propose sur la scène ne sont, ne peuvent être que transpositions. Quel rapport, dites-moi, entre l'Antigone authentique du théâtre de Dionysos et l'Antigone académique de la Comédie Française, même au temps où Mounet-Sully et Julia Bartet l'animaient de leur génie propre? Le «dessin au crayon noir» d'après Sophocle que nous présente Jean Cocteau en dépouillant le drame original de son vêtement lyrique ne transpose pas davantage. Ce que fut la vraie Antigone, nous ne le saurons donc jamais, ni la Passion de Gréban, ni Othello, ni Phèdre, ni le Misanthrope. Du dessein concerté de ceux qui les conçurent et les animèrent, il nous reste le texte, le squelette, l'épure admirable sans doute, que le livre nous a transmis. Devenu matière classique, matière d'explication dans les manuels, dans les classes, et plaisir secret de quelques lettrés, le théâtre est entré dans la «littérature»... Or, si le théâtre a sa place, considéré dans ses plus hautes formes, parmi les genres littéraires et les genres littéraires supérieurs, il est, je le répète, un genre littéraire à part et il déborde étrangement de l'écrit. S'il ne le déborde, il n'est point, ayant perdu sa principale raison d'être, ou, si l'on veut, il n'est plus qu'à demi. Car, seul de son espèce - avec l'éloquence peut-être - il mène en fait deux existences, et dans le livre, et hors du livre. Il renoncerait plutôt à celle-là qu'à celle-ci et plutôt cesserait d'être littéraire que d'être scénique. Nous l'étudions sur des textes: eh bien! le texte n'est pas tout.

1 commentaire:

  1. En effet, combien de « relectures », de « dépoussiérages », et autres « rajeunissements » servent d’alibi pour nous faire croire que le metteur en scène a réussi à retourner aux sources de l’œuvre.
    J’aime dire les vers d’un rôle classique, et même, j’aime les apprendre, c’est plus facile, plus agréable, plus gratifiant peut-être. Mais je n’aime pas que l’on essais de confondre modernité d’un texte avec modernité d’une mise en scène.
    C’est un peu le lieu commun de la publicité : « Le spectacle de monsieur Untel montre d’une façon éclatante la grande modernité de l’œuvre de Corneille. »
    Il y a dans les textes classiques des choses intemporelles et qui parlent au public d’aujourd’hui, mais en effet, nous ne saurons probablement jamais qu’elles étaient les intentions réelles de leurs auteurs et encore moins l’accueil que leur réservait ce public disparu à jamais.

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