dimanche 27 février 2011

Un «Chantier naval» au Saguenay


Salle du Facteur Culturel, Jonquière. Il fait assez froid... La pièce qu'on y présente est Chantier Naval, un texte de Jean-Paul Quéinnec (dont l'écriture aqueuse mériterait une analyse en soi...), une production du théâtre Toujours à l'Horizon de Larochelle.

Un texte donc. Un texte et des comédiens... le décor n'ayant pas trouvé place dans les valises, économies de voyage obligent.

D'emblée le sujet ne résonne pas dans mon imaginaire. Depuis toujours ancré dans la région, Jeannois avant d'être Saguenéen, le chantier naval reste pour moi une abstraction, tout aussi gros soit-il. Et pourtant, on y trouve là un souffle, des constats sans fard qui pourraient se rapporter tout aussi bien au monde agricole qu'au monde forestier qu'au monde industriel tout d'aluminium et de papier: la fin d'un mode de vie, le naufrage des repères, la quête d'un nouveau monde...

Sur le chantier, la main-d'œuvre diminue au fur et à mesure des années. Une nuit, François, ses deux fils Claude et André, l'oncle Lili, décident de couler le navire qu'ils viennent de construire. Et de disparaître avec lui. Nine, la femme d'André qui sert les marins dans un des bars du port, les rejoint pour un dernier échange. Sous les regards des habitants de La Pallice, réunis par Guiguite la soeur de François, le bateau s'enfonce dans l'eau glacée. Les hommes coulent et les trois femmes: Nine, ma cousine, Guiguite, réveillent Jacques, le jeune frère; tous les quatre partent à 6000 kilomètres vers un pays tout blanc où ils réinventent leur vie*.

Une écriture dense, frénétique... française... telle une vague de mots qui submergent les interprètes qui s'y mesurent. Une écriture rapide et sans compromis qui construit une fable familiale légendaire par une suite de narrations le plus souvent monologiques. L'oreille doit s'y abandonner pour en goûter la richesse, l'absorber pour la saisir, surpasser les difficultés dues aux accents et aux expressions typiquement européennes pour en faire émerger le plaisir d'écouter ces voix lointaines. Une écriture exigeante.

Les différentes parties se succèdent sur un mode elliptique, au risque de surprendre et déboussoler le spectateur: sur les quais, dans la cale d'un navire, sur une mont pour assister au naufrage, sur un bateau... L'ensemble garde pourtant -malgré quelques longueurs- une certaine unité et une cohérence assez forte pour faire le lien entre la salle et la scène.

Le jeu est remarquable: un déploiement de rigueur et de précision accentuées, il va sans dire, par l'absence de décors et d'accessoires; des corps qui se tiennent et qui offrent une frontalité particulière où les regards sont fuyants; une mise en bouche efficace et dynamique. Soutenu par une bande sonore permanente, il prend parfois des allures de chorégraphies (comme le sommeil agité au sol, proche de la danse expression ou la nage synchronisée) et de numéros physiques (tel l'actrice renversée déclamant son texte) qui fragilisent peut-être l'équilibre du plateau en appelant d'autres types de niveaux de jeu que celui principalement utilisé, plus proche du statisme.

En somme, cette proposition esthétique (et scénique!) de Chantier naval fonctionne, malgré les contraintes matérielles, et possède le double mérite de faire découvrir une écriture et de faire réfléchir sur elle-même...
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* De nombreux liens peuvent être faits entre ce texte et Dragage: présence forte de l'eau, naufrage, émigration, nouveau monde.

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