lundi 13 juin 2011

Suivi du premier «Forum sur le théâtre au SLSJ»...

Voici la conférence prononcée par Michel Lemelin hier matin.

Malgré plusieurs essais 60 ans dans 20 minutes, c’est impossible. Je vais prendre bien des raccourcis, bien des libertés aussi (je n’ai pas le choix d’ignorer certains aspects qui pourtant éclairent ce qu’est le milieu aujourd’hui)
Je vais presque passer sous silence les 20 premières années pour m’attarder à la professionnalisation en tant que tel. J’aurai peut-être l’occasion, au cours de la journée, d’aller plus loin lors des ateliers
Théâtre comme agriculture
Quatre grandes périodes qui me servent à objectiver l’histoire, morcellement discutable et non catégorique
Rapport du Québec à la culture et au théâtre :
1955-68 : La culture en soi
1965-78 : La culture comme lieu de l’affirmation identitaire
1978-95 : Professionnalisation, métier et postmodernité
1995 à aujourd’hui : la culture comme divertissement rentable
1955-1968
La culture en soi
Entre la grande noirceur et la révolution tranquille, c’est la culture classique qui a l’appui des politiques et, surtout, du clergé. Le rapport à la culture est lié à la connaissance et l’éducation et au respect des classes sociales. La culture populaire est considérée comme mineure.
Ghislain Bouchard : Théâtre du coteau 1955 est dans cette lignée – particularité au SLSJ : par l’entremise d’une cohorte d’acteurs sociaux, l’identité Saguenéenne et jeannoise est cristallisée et valorisée à l’extrême.
Ça a son importance dans l’essor que connaîtra le théâtre jusqu’au début des années 80. C’est une culture exclusive et extrêmement participative.
1968-1978
La culture comme lieu de l’affirmation identitaire
De 65 à 70 : on passe de la culture classique à la culture canadienne française puis québécoise.
Explosion du théâtre au SLSJ (plus d’une vingtaine de troupes) et apparition de grands événements (Festival d’art dramatique du Canada, Foire culturelle à l’UQAC). La population participe massivement : les troupes sont constitués de gens de tous les milieux et attirent leurs proches. Ces troupes sont invitées dans des événements prestigieux à Monaco, Vancouver, Sèvres, et y gagnent des prix ; elles permettent l’émergence des grands à venir (Michel Dumont, Louise Portal, Michel Côté, Marie Tiffo, Ghislain Tremblay, etc.); elles s’inscrivent dans des regroupements nationaux comme l’ACTA et ne souffre pas de la comparaison puisque, au niveau du métier (au « craft », comme disent les anglophones), il n’y a pas encore de grandes disparités entre les artistes formés et ceux qui apprennent sur le tas
En clair, le théâtre d’ici s’inscrit dans l’imaginaire collectif, au même titre qu’une équipe de hockey, et est donc soutenu avec autant d’intérêt… ce qui se perdra dans la première décennie de la professionnalisation.
1978-1995
Professionnalisation, métier et postmodernité
C’est d’abord la fin du théâtre engagé politiquement puis la mise en place de politiques culturelles visant à soutenir les organismes désirant accéder au statut de professionnel qui marquent le début de cette période, ce qui va avoir pour effet la disparition des organisations phares de la période précédente au profit d’associations, guildes et unions de plus en plus spécifiques agissant comme syndicats et modelant, au fil des années, les conditions et les orientations du théâtre sur tout le territoire.
Après l’échec référendaire, le rapport à la culture va, à nouveau, se modifier considérablement, passant du lieu de l’affirmation identitaire de tout un peuple à un espace autoréflexif destiné davantage aux initiés et un lieu de développement technique. Ce changement va aussi permettre la consécration du rôle de la critique car, désormais, pour obtenir subventions et reconnaissance des pairs, il faut que le travail ait été désigné et réfléchi dans les revues spécialisées et les grands quotidiens.
En clair, au Saguenay, la production théâtrale va passer d’un loisir démocratique s’inscrivant dans toutes les strates du tissu social à une affaire de groupe restreint. La crise économique n’aidera pas : les grandes manifestations des années 60 et 70 réunissant des milliers de participants sont terminées et nombre de compagnies n’arrivant pas à rencontrer les nouveaux standards mourront de leur belle mort et celles qui traverseront cette période devront accepter que le public ne soit pas toujours au rendez-vous.
Cette mutation se fera en plusieurs étapes :
1- D’abord, par la création d’un programme de certificat en théâtre à l’UQAC que dirigera Rodrigue Villeneuve dès 1978. En plus d’offrir une formation universitaire aux artistes et artisans, l’UQAC devient peu à peu le nouveau carrefour de la création théâtrale au SLSJ et on y voit défiler ceux qui marqueront cet art pour le reste de cette période, de Gilles Maheu de Carbone 14, en passant par Marie Laberge, Alice Ronfard et Jack Robitaille. Villeneuve et d’autres collaborateurs vont même relacer la foire culturelle de Ghislain Bouchard, y ajoutant une couleur plus réflexive, ce qui finira par donner naissance, en 80, au Regroupement des troupes de théâtre du Saguenay-Lac-Saint-Jean.
2- Ensuite, par l’entrée en scène de deux nouvelles troupes qui feront le pari de la professionnalisation, soit La Rubrique en 1979 et les Têtes Heureuses en 1982, un an après les premiers états généraux du théâtre au Québec pour lesquels aucun interlocuteur du SLSJ n’avait été invité et durant lesquels les bases des politiques qui marquent toujours la production théâtrale allaient être jetées.
Fragilité du milieu ? Incompréhension ? Suite à la création des TH, le Regroupement des troupes de théâtre du SLSJ va organiser une Conférence de presse pour y condamner la supposée concurrence déloyale faite par cette nouvelle troupe (UQAC, infrastructures, bassins de créateurs, etc…) … Cela mène à la cristallisation d’une dynamique binaire, parfois conflictuelle, polarisant plus ou moins fortement le milieu, entre les TH et La Rubrique, durant près de 15 ans.
Malgré cela les TH animent la maison carrée : lieu de rencontre et de création… les difficultés économiques auront raison de ce lieu mythique. La Rubrique administre et produit elle aussi dans un lieu mythique : le côté cour
10 premières années : on se définit lentement, tantôt on fait du cabaret, tantôt on produit des spectacles en résonnance avec la région ; il n’y a pas encore de créneaux clairement défini
3- Années 90 : l’arrivée de Benoît Lagrandeur et la direction artistique affirmée de Rodrigue Villeneuve (production plus colloque) va venir asseoir deux façons de faire du théâtre : l’une visant une véritable structuration professionnelle de l’organisme, ce qui mènera petit à petit la Rubrique à devenir un producteur, mais aussi un très important diffuseur et gestionnaire de salle et qui assure une pérennité à sa mission, l’autre visant un engagement absolu à l’égard de la mission artistique et à l’intellectualisation du travail théâtral, permettant aux artistes et artisans de se frotter aux classiques mais, malheureusement pour l’organisme et le milieu, avec une grande difficulté a pérenniser sa mission.
1996 à aujourd’hui
Au Saguenay, on entre dans une importante période de mutation.
D’abord, l’implantation de CRI et la sortie d’importantes cohortes de finissants au BIA inondant le secteur de nouveaux talents viennent définitivement mettre fin à la dynamique binaire qui avait cours depuis 15 ans entre la Rubrique et les Têtes Heureuses, relaxant le milieu, permettant l’apparition de nouvelles compagnies (des 100 masques au Théâtre à bout portant, en passant par le Faux coffres) et ouvrant la porte a de premiers échanges qui n’auront cesse de se multiplier et de le fortifier.
Partout au Québec, les organismes existants sont forcés par les subventionnaires à produire selon des paramètres de plus en plus standards, des paramètres qui s’intéressent de moins en moins à la qualité artistique et à la recherche, et de plus en plus au développement de marché et à l’équilibre budgétaire. Simultanément, le rapport à la culture au Québec mute à nouveau : on entre dans une ère où le divertissement est roi et où, dans la mise en marché d’une œuvre théâtrale, les premiers rôles ont des têtes télévisuelles ou cinématographiques – des têtes de vedettes qui sont inscrites dans l’imaginaire collectif.
À cet égard, le milieu doit désormais partager son territoire avec de grosses machines à spectacle (La fabuleuse, Québec Issime, Ecce Mundo, etc.) ce qui nourrira un nouveau rapport binaire non seulement entre le milieu professionnel et celui des amateurs, mais aussi entre le milieu professionnel et l’administration municipale qui soutient les grands spectacles, moteurs touristiques par excellence. Si cette opposition unie le milieu comme jamais, force est de constater que cela creuse davantage le fossé entre celui-ci, le politique, voir même un certain public…
Le resserrement des règles au CALQ et au CAC et la création du CAS obligent donc toutes les organisations à se positionner et à se structurer ou restructurer selon ces balises très rapidement, donc, à définir des créneaux de travail se distinguant les uns des autres, puisque les organismes subventionnaires exigent implicitement que, pour un même territoire, il n’y ait pas de redondance : nous sommes dans une rhétorique de marché où, pour un territoire donné, il est préférable que les différents producteurs offrent des prestations différentes et complémentaires.
Curieusement, jusqu’ici, cette entente tacite où chaque organisme du milieu respecte le créneau de l’autre ne semble exister que dans le cadre de demandes aux subventionneurs étatiques. Dans l’offre de produit, dans la mise en marché des spectacles et des formations, la concertation est encore minime : on annonce bien toutes les productions à venir dans son programme, ce qui n’existait même pas il y a 15 ans, mais on ne peut pas parler encore de saison structurée et vendue comme telle avec abonnement à un billet de saison. En fait, on se retrouve avec 2 temps forts en automne et en hiver durant lesquels, sur 3 semaines, on doit se rendre au théâtre deux fois par week-end pour tout voir : on morcelle le public. Cela n’est pas uniquement dû au milieu, mais aussi beaucoup aux calendriers des subventionnaires qui marquent la saison. Il faudra éventuellement prévoir des accommodements pour permettre cela.
Pour ce qui est de l’offre de formation, cependant, il y a une compétition entre les organismes qui en offrent puisque les créneaux ne sont pas très différents… entre autres parce que ces formations sont tributaires des formateurs et que ceux-ci ce promène d’un organisme à l’autre. On aurait avantage à avoir une association pour tout le territoire, qui développerait des programmes pédagogiques sur mesure, présenterait une offre pour l’ensemble du SLSJ, infiltrant à nouveau le milieu socio-économique par des formations en milieu de travail, suscitant éventuellement à nouveaux les festivals du passé et fournissant du coup de nombreux emplois de formateurs aux artistes.
Car une autre particularité du théâtre professionnel au SLSJ, c’est sa jeunesse. En fait, on a le sentiment que la scène régionale existe d’abord et avant tout par sa relève. Après 35 ans, on voit de moins en moins d’artistes et d’artisans. Sans doute parce qu’avec le temps, ceux-ci ont des emplois du temps de moins en moins compatibles avec le calendrier des répétitions et des représentations. Un organisme de formation en théâtre entièrement dédié à cette mission et plus agressif dans son développement permettrait peut-être de prolonger l’espérance de vie artistique des artistes et artisans de la région en leur fournissant du travail lié à la profession, mais aussi de réinscrire la pratique théâtrale dans l’imaginaire collectif et de faire revivre, non plus dans un rapport binaire mais dans une véritable cohabitation, une pratique théâtrale amateur riche et diversifiée avec une pratique professionnelle solide et singulière.
Michel Lemelin – Juin 2011

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