vendredi 6 août 2021

La suite phédrienne

Mon premier vrai coup de foudre pour le théâtre est venu de la littérature, au Cégep d'Alma, par la lecture de Phèdre de Racine. Comme un puissant émerveillement. 

J'ai lu ce texte à de nombreuses reprises... cherchant, depuis, une façon de l'aborder. Il y a deux ou trois ans, j'ai allumé (il n'est jamais trop tard!), au cours d'une brève recherche, sur ce fait évident: le Phèdre de Racine n'est, au fond, qu'une réécriture, une reprise d'un mythe ancien qui avait donc dû être l'objet d'autres pièces au fil du temps.

Et je suis parti à la quête de ces textes.

Tous la même histoire à la base. Alors qu'elle croit son époux Thésée mort, Phèdre avoue sa passion coupable et criminelle pour Hippolyte, le fils de celui-ci. Hippolyte est horrifié. Thésée revient contre toute attente, apprend la nouvelle et, dans une fureur indescriptible, maudit son fils et le banni. Dans sa fuite, Hippolyte est soudainement assailli par un monstre sorti des eaux et meurt dans d'atroces souffrances. Phèdre se confesse et meurt.

Ce qui est intéressant, ce sont alors les variantes. 
 
EURIPIDE (480-406 avant J.-C.)


Le première sur la ligne de départ est Sénèque. En 428 avant notre ère, il écrit la pièce Hippolyte porte-couronne (il aurait fait un Hippolyte voilé aujourd'hui perdu). C'est, à mon sens, la plus intéressante, la plus claire.

Les personnages:
  • Aphrodite
  • Hippolyte
  • Un serviteur
  • Valets d'Hippolyte
  • La nourrice
  • Une servante
  • Thésée
  • Artémis
  • Choeur des femmes de Trézène
Cette pièce présente Hippolyte comme étant un jeune homme fier, arrogant, chaste qui méprise l'Amour et n'a d'intérêt que pour la chasse et Artémis. Refusant d'honorer Aphrodite, celle-ci, courroucée, cherche à se venger du bellâtre en instrumentalisant Phèdre dont la famille est déjà maudite. Aveux, confessions, horreur. Quand Phèdre apprend le retour de Thésée, elle se pend pour échapper au crime et c'est la nourrice qui charge Hippolyte du méfait. Thésée fait appel à son père, Poséidon, afin qu'il punisse le criminel. La furie sortie des eaux. Hippolyte meurt devant Artémis qui instruit Thésée de son erreur et le laisse complètement détruit.

C'est une pièce mordante. Cruelle. Et qui font des dieux, présents dans la pièce (la seule d'ailleurs, qui les convoque), des être manipulateurs et calculateurs qui se servent des humains pour arriver à leurs fins.

Sophocle en aurait écrit, lui aussi, une version... qui ne s'est pas rendue jusqu'à nous.  

SÉNÈQUE (4-65 de notre ère)


Sénèque arrive et donne, vers 50, sa version de Phèdre

En de longs monologues, il reprend somme toute le même argument qu'Euripide (et semble-t-il, que Sophocle) avec une économie de personnages:
  • Hippolyte
  • Phèdre
  • Thésée
  • La nourrice de Phèdre
  • Un messager
  • Choeur d'Athéniens
  • Troupe de veneurs
Dans cette version, Phèdre est beaucoup plus fonceuse et d'emblée, elle annonce à sa nourrice qu'elle ne croit plus Thésée vivant et qu'elle peut enfin assouvir sa passion pour le fils. Aveux, confessions, horreurs. Hippolyte la rejette. Thésée revient et Phèdre accuse froidement le jeune homme d'agression. Colère du père, malédiction, furie sortie des eaux.

La grande différence, outre le caractère de Phèdre, réside dans le fait qu'Hippolyte meurt dans la quatrième partie (de cinq) de l'ouvrage et qu'il reste donc ensuite un acte pour que le choeur ouvre les yeux de Thésée, que Phèdre avoue son mensonge et se punisse elle-même. 

Cette version est un peu longuette.

ROBERT GARNIER (1545-1590)


Il y a cet Hippolyte écrit en 1573 que je n'ai pas encore lu.

Personnages:
  • L'ombre d'Égée
  • Hippolyte
  • Choeur des chasseurs
  • Phèdre
  • La nourrice
  • Thésée
  • Choeur d'Athéniens
Mais ce que je sais déjà (et ce qui fait la différence de cette version), c'est que la pièce début avec l'ombre d'Égée, père de Thésée, qui annonce, dans un long monologue, les malheurs qui se dressent devant sa descendance.

Pour le reste, aveux, confessions, horreurs, colère du père, malédiction, furie sortie des eaux.

JEAN RACINE (1639-1699)


En 1677, Racine présente sa Phèdre, dans une perfection formelle inégalée et qui est un des plus beaux textes de la littérature française. 

Personnages:
  • Thésée
  • Phèdre
  • Hippolyte
  • Aricie
  • Oenone
  • Théramène
  • Ismène
  • Panope
  • Gardes
Perfection formelle, peut-être. Mais dans les faits, Racine apportent plusieurs variantes. D'abord, il nomme les personnages qui, jusque là ne portait que leur titre de nourrice (Oenone) ou de messager (Théramène). Mais la plus grande transformation concerne Hippolyte. Bien qu'il soit toujours affublé d'un caractère farouche, Racine le compromet dans une histoire d'amour avec Aricie (prisonnière de Thésée), introduite dans la pièce avec sa suite. Ainsi le bellâtre brûle d'amour pour une femme. Ce fait attisera la jalousie de Phèdre. Sinon, aveux, confessions, horreurs, colère du père, malédiction, furie sortie des eaux. Quand Thésée voit son fils mort et qu'il apprend son amour pour Aricie, il reconnait dès lors celle-ci comme sa fille. 

À mon sens, la version racinienne affadit terriblement le personnage d'Hippolyte qui y perd de sa superbe!

JACQUES PRADON  (1644-1698)


La présentation de la Phèdre de Racine a donné lieu à une joute théâtrale importante alors qu'un auteur de l'époque, Pradon (aujourd'hui complètement oublié), dans une guerre d'orgueil, cherche à le devancer en donnant, quelques jours plus tôt, sa propre version de Phèdre et Hippolyte. Il écrire sa pièce en trois mois.

Personnages: 
  • Thésée
  • Phèdre
  • Hippolyte
  • Aricie
  • Idas
  • Arcas
  • Cléone
  • Mégiste
  • Gardes
Comme Racine, il nomme les fonctions et introduit de nouveaux personnages. Comme Racine, il implique Hippolyte dans une romance. Pour le reste,  aveux, confessions, horreurs, colère du père, malédiction, furie sortie des eaux.

Cette pièce est, de loin, la moins intéressante de toutes de par son écriture qui verse dans le galant, omniprésent à l'époque. 

C'est là où j'en suis rendu. 

Il me reste au moins deux autres versions, du vingtième siècle, que je veux lire prochainement: celle de Gabrielle D'Annunzio (Phèdre, 1909) et celle de Sarah Kane (L'Amour de Phèdre, 1996).

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