J'aime beaucoup le site de l'Observatoire de la vie littéraire (ici) qui est, si je comprends bien, affiliée à la Sorbonne. En fait, j'aime particulièrement l'un de ses projets, La Haine du théâtre (ici), qui a pour ambition d’explorer l’histoire des controverses sur le théâtre en Europe, à travers une série de manifestations scientifiques et grâce à l’édition numérique des textes polémiques. C'est une mine d'informations fort riche où il fait bon se perdre! Il y a de tout... et souvent aux extrêmes!
On y découvre des mandements, des traités, des sermons... ou encore, des récits comme celui-ci qui servent à illustrer tout la malfaisance du théâtre et la punition qui s'abat sur ces faux idoles:
RECIT TOUCHANT
LA COMEDIE
JOUEE PAR LES
JESUITES, ET LEURS
DISCIPLES, EN LA VILLE DE
Lyon, au mois d'aoust
de l'an 1607
Les jésuites nouvellement rétablis à Lyon [...] firent-ils le dessein d’une grande et superbe représentation, que nous appelons comédie. Aucuns diront que le mot est trop bas, à cause de ce qui fut représenté: voire que la fin requiert qu’on lui donne le nom de tragédie. Car ils y introduisirent Dieu, les sauvés, les diables, les damnés, charpentèrent un paradis, un purgatoire, un enfer: et tout cela se tourna en luctueuse catastrophe, comme je le dirai ci après. Mais toutes leurs inventions étant ridicules, en introduisant leurs disciples pour faire des idoles sur leurs échafauds, ils se sont moqués d’eux mêmes, de leurs disciples et auditeurs. [...]
La comédie en question fut un récit pour lequel prononcer furent introduits plusieurs jeunes hommes de diverses maisons de Lyon, au nombre de quatre-vingts ou cent, en divers équipages. Selon les personnages qu’ils représentèrent, les pères et mères faisaient grande, ou moyenne, ou petite contribution. Il y avait un Dieu jésuitique, qui vraisemblablement paya plus que les autres, en après un Jésus-Christ à sa droite environné d’anges avec leurs trompettes sur le plus haut théâtre, qu’ils appelaient paradis. En un autre plus bas étaient d’un côté le pape et sa suite, les rois catholiques, et chrétiens : d’autre part les Turcs, le prêtre Jean, les mécréants et hérétiques. Au dessous était l’enfer, où se voyaient quelques diables et Lucifer leur maître, accoutrés selon le dessein des jésuites : la fin du jeu était de contrefaire un jugement dernier, puis le salut des uns, et la damnation des autres. Tous les théâtres dressés au collège des jésuites étaient environnés de divers échafauds pour les personnes de qualité, qui payèrent largement la vue de cette drôlerie. Comme aussi tous les frais d’icelle furent fournis par les pères et mères dont leurs enfants jouaient lors.
Le premier jour du jeu, [...] plusieurs pétards et autres nouvelles inventions de Salmonée devaient contrefaire les tonnerres et éclairs, durant lesquels Lucifer et sa bande tireraient les damnés en leur enfer. Ainsi qu’ils commencèrent à lâcher leur premier pétard ou petit tonnerre jésuitique, le temps auparavant serein se brouille tout à coup, une nuée crève, une ravine d’eau s’épand et verse l’espace de deux heures durant sur les drôles du paradis et de l’enfer des loyolites. Leur idole ou nouveau dieu quitte vitement son échafaud, suivi de sa cambrade, étonné, comme fut tout le reste des joueurs et des spectateurs, non seulement de la pluie du tout extraordinaire, mais aussi des vrais tonnerres d’en haut et de la foudre qui tomba sur une maison proche de celle des jésuites, où elle fit du ravage, dont plusieurs des joueurs fort effrayés depuis sont morts : et tient-on compte de neuf ou dix des principaux, au moins. Aucuns disent beaucoup d’avantage. Entre autres, celui qui contrefaisait Dieu, et celui qui jouait le personnage de Lucifer, tellement emportés de maladie pour s’être trop échauffés, que l’on a pu y remarquer le secret et redoutable jugement du Tout Puissant sur telles abominations et attentats exécrables contre celui qui domine au ciel et en la terre. [...]
J’ajouterai ce mot, venant de quelqu’un digne de foi, pour déclaration de ce que j’ay touché en un mot. Le deuxième jour (dit-il) comme l’on eût mis le feu au premier pétard, voila l’air auparavant bien clair qui se va couvrir d’une nuée si épaisse, et une pluie si impétueuse survient, qu’on ne pouvait aller par les rues de Lyon. Outre plus les éclairs étaient si fréquents et les tonnerres si effroyables, que plusieurs pensaient que ce fût la fin du monde. Et je crois fermement (dit encore ce personnage) que Dieu étant courroucé de telle impiété manifestait sa puissance. Entre trois tonnerres qu’il fit, il y en eut un si terrible, que la foudre chut sur une tour qui est au bord du Rhône, joignant le collège des jésuites. Céans y avait un homme qui fut blessé, et une femme tuée. La foudre rompit la cheminée par où elle entra, puis, sortie par même endroit, se jette sur un bateau chargé de bois, qu’elle fait couler au fond du Rhône. Ce sont ses mots.
[...]
Le vrai, tout-puissant, juste et miséricordieux Seigneur du ciel et de la terre veuille ouvrir les yeux aux disciples des jésuites, pour leur faire connaître de quel esprit leurs docteurs sont poussés: fortifie et confirme en la profession de sa sainte parole tous ceux qui l’aiment de conscience non feinte. Amen, fait ce 22. d’Août. 1607.
En fait, c'est là le même type de récit - théâtre et punition divine aussi spectaculaire que rédemptrice! - qu'utilisera Monseigneur Bourget, archevêque de Montréal, deux cent cinquante ans plus tard (ici).
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