Pour écrire son George Dandin, en 1668...
George Dandin regrette d'avoir épousé Angélique et de sans cesse subir le mépris de cette dernière et de ses parents. Surprenant Lubin sortant de chez lui, il l'interroge et apprend, sans dévoiler son identité, que sa femme entretient une correspondance avec Clitandre, et que Lubin courtise Claudine. Accablé, il se plaint auprès de ses beaux-parents, lesquels fustigent d'entrée son habituel manque de savoir-vivre et sa basse condition.
Plus tard dans la journée, toujours grâce à Lubin, George Dandin apprend que Clitandre est allé rejoindre Angélique chez elle. Il avertit une nouvelle fois ses beaux-parents, qui, en arrivant, surprennent Angélique et Clitandre quittant sa maison. Apercevant ses parents, Angélique feint de se défendre verbalement contre Clitandre et, pour appuyer ses protestations de femme vertueuse, se saisit d’un bâton pour le frapper. Clitandre pousse George Dandin entre eux, et c’est sur lui que tombent les coups de bâton généreusement administrés par Angélique. Les parents, ravis, félicitent leur fille, et il s'en faut de peu que George Dandin ne soit obligé de remercier Angélique de son comportement exemplaire.
Clitandre et Angélique se sont donné rendez-vous de nuit à l’extérieur de la maison. Au bruit de la porte, George Dandin se réveille et aperçoit les deux amants. Certain que sa bonne foi triomphera, il dépêche discrètement à Colin de prévenir ses beaux-parents, tandis qu'il verrouille la porte de leur chambre conjugale, empêchant le retour d'Angélique. Quand Angélique revient, elle trouve porte close et son mari, George Dandin, à la fenêtre. Quand il lui apprend que ses parents vont bientôt venir, elle dit qu’elle préfère se tuer avec le couteau qu’elle possède plutôt que le déshonneur, et elle feint de le faire. La nuit est noire, et Dandin descend pour voir si sa femme s’est vraiment tuée. Celle-ci en profite pour entrer dans la maison et verrouiller la porte derrière elle. Quand les beaux-parents arrivent, ils trouvent Dandin dehors et Angélique à la fenêtre. Elle se plaint à ses parents que son mari rentre souvent ivre et nu la nuit. Après avoir été sévèrement réprimandé par ses beaux-parents, George Dandin est encore obligé de présenter ses excuses, cette fois à genoux devant sa femme.
... Molière a ressorti de sa malle une petite farce antérieure, écrite quelque part entre 1650 et 1660: La jalousie du Barbouillé pour la pousser plus loin...
Le Barbouillé est marié avec Angélique. Mais il n'est pas satisfait de sa femme qui, dit-il, le fait enrager. Il demande au docteur son avis sur la façon de la punir. À la scène suivante, on voit apparaître Angélique, qui se plaint également de son mari à son amant Valère. Le Barbouillé revient et se plaint de la présence de Valère. Gorgibus, le père d'Angélique, ne peut dissiper la dispute. Le docteur qui veut s’en mêler est traîné hors de scène par Le Barbouillé. Angélique se décide à aller à un bal, où elle espère retrouver Valère. Au retour, elle trouve porte close, et son mari à la fenêtre, qui refuse de la laisser entrer. Elle fait semblant de se donner la mort avec son couteau, et Le Barbouillé, incrédule, descend voir ce qu'il en est. Angélique en profite pour entrer dans la maison et fermer la porte derrière elle. La situation est alors inversée : c'est Le Barbouillé qui est maintenant dehors. Angélique se plaint à son père qui est revenu, que son mari ne rentre qu'à cette heure, ivre. Le Barbouillé, ne pouvant se justifier, enrage.
Mais il faut savoir que le schéma de celle-ci a été tiré de la quatrième nouvelle de la septième journée (on peut la trouver ici) du Décaméron de Boccacio (1313-1375), Le Jaloux Corrigé:
Il y avait autrefois dans la ville d’Arezzo un homme riche, nommé Tofano, marié depuis peu à une jeune et belle demoiselle, nommée Gitta, dont il devint aussitôt extrêmement jaloux, on ne sait trop pourquoi. La femme, qui ne tarda pas à s’en apercevoir, en eut beaucoup de déplaisir et se crut offensée. Elle lui demanda plusieurs fois le sujet de sa jalousie ; mais elle n’en tira jamais que ces raisons vagues que les hommes ont coutume d’alléguer en pareil cas. Fatiguée de se voir continuellement la victime d’une maladie d’esprit à laquelle sa conduite n’avait aucunement donné lieu, elle résolut de punir son mari, en lui faisant subir le sort qu’il redoutait sans en avoir le moindre sujet. Dans ce dessein, elle jeta les yeux sur un jeune homme fort aimable, qui avait pour elle de l’inclination, et qu’elle avait dédaigné jusqu’alors. Elle lui fit savoir secrètement ses dispositions. Elle mit en peu de temps les choses en tel état, qu’il ne leur manquait plus qu’une occasion favorable pour être parfaitement heureux. Entre les défauts de son mari, la belle avait remarqué qu’il aimait fort à boire : non-seulement elle lui laissa suivre son penchant à cet égard, mais elle le favorisa de son mieux, pour tourner au profit de l’amour les moments de liberté qu’elle aurait pendant son ivresse. Le jaloux s’accoutuma si fort au vin, qu’elle l’enivrait quand elle voulait ; et, quand il était ivre, elle le faisait coucher. C’est par ce moyen qu’elle vint à bout de voir son amant, et de passer avec lui les moments les plus agréables. Le succès de ce manège lui inspira une telle confiance, que, non-seulement elle le faisait venir chez elle, mais qu’elle allait quelquefois le trouver dans sa propre maison, qui n’était guère éloignée de la sienne, et où elle passait la plus grande partie de la nuit.Cependant le mari, s’étant aperçu que lorsqu’elle le faisait boire elle ne buvait jamais, commença à avoir des soupçons, et se douta de ce qui se passait. Pour s’en convaincre, il passa une grande partie de la journée hors de chez lui sans boire, et se rendit le soir dans sa maison, chancelant et tombant, comme s’il eût été véritablement ivre. Il continua de jouer si bien son personnage, que sa femme, donnant dans le panneau, crut qu’il n’était pas nécessaire de le faire boire davantage, et le fit coucher incontinent. Il ne fut pas plutôt au lit, et avait à peine fait semblant de s’endormir, que la femme sortit de la maison et courut chez son amant, où elle demeura jusqu’à minuit. Tofano, ayant entendu ouvrir la porte, se leva dans l’intention de surprendre sa femme avec quelque galant. Étonné de voir qu’elle était sortie, et ne doutant pas qu’elle n’eût été le faire cocu, il ferme la porte aux verrous, et va se poster à la fenêtre pour la voir revenir et lui faire connaître qu’il savait à quoi s’en tenir sur sa conduite. Il eut la patience d’y demeurer jusqu’à son retour, quoiqu’on fût alors au commencement de l’hiver. La belle, désolée de trouver la porte fermée, ne savait que devenir. Elle fit de vains efforts pour l’ouvrir de force. Son mari, après l’avoir laissée faire quelques moments : « C’est temps perdu, ma femme, lui dit-il, tu ne saurais entrer. Tu feras beaucoup mieux de retourner à l’endroit d’où tu viens. Tu peux être assurée de ne remettre les pieds dans la maison, que je ne t’aie fait la honte que tu mérites, en présence de tous tes parents et de tous nos voisins. » La dame eut beau prier, solliciter, pour qu’on lui ouvrît ; elle eut beau protester qu’elle venait de passer la soirée chez une de ses voisines, parce que, les nuits étant longues, elle s’ennuyait d’être seule, ses prières et ses protestations furent inutiles. Son original de mari avait absolument décidé dans son esprit étroit de dévoiler aux yeux de tout le monde la conduite irrégulière de sa femme et son propre déshonneur. La belle, voyant que les supplications ne servaient de rien, eut recours aux menaces. « Si tu persistes à ne pas m’ouvrir, lui dit-elle, je t’assure que je t’en ferai repentir, et que je me vengerai de ton opiniâtreté de la manière la plus cruelle. – Et que peux-tu me faire ? dit le mari. – Te perdre, reprit la femme, à qui l’amour venait d’inspirer une ruse infaillible pour le déterminer à ouvrir… oui, te perdre ; car, plutôt que de souffrir la honte que tu veux me faire subir injustement, je me jetterai dans le puits qui est ici tout près ; et comme tu passes avec justice pour un brutal et un ivrogne, on ne manquera pas de dire que c’est toi qui m’y as jetée dans un moment d’ivresse. Alors, ou tu seras obligé de t’expatrier et d’abandonner tes biens, ou tu t’exposeras à avoir la tête tranchée, comme homicide de ta femme, dont effectivement tu auras à te reprocher la mort. » Cette menace ne fit pas plus d’effet sur l’âme de Tofano que les prières d’auparavant. Sa femme le voyant inébranlable : « C’en est donc fait de moi, lui dit-elle ; Dieu veuille avoir pitié de mon âme et de la tienne ! Je laisse ici ma quenouille dont tu feras l’usage qu’il te plaira. Adieu, mon mari, adieu. »La nuit était des plus obscures ; à peine eût-on pu distinguer les objets dans la rue. La femme va droit au puits, prend une grosse pierre et l’y jette de toute sa force, après s’être écriée : « Mon Dieu, ayez pitié de moi ! » La pierre fit un si grand bruit à l’approche de l’eau, que Tofano ne douta point que Gitta ne se fût réellement jetée dans le puits. La peur le saisit, il court chercher le seau avec la corde, sort précipitamment de la maison et va droit au puits pour tâcher de l’en retirer ; mais la belle, qui s’était cachée près de la porte, ne voit, pas plutôt son mari dehors, qu’elle entre, referme la porte aux verrous et va se tapir à la fenêtre, d’où elle crie d’un ton à persuader qu’elle était de mauvaise humeur : « C’est lorsqu’on boit le vin qu’il faut y mettre de l’eau, et non quand on l’a bu ! » Qu’on juge de la surprise de Tofano. Il revint vite sur ses pas, et trouvant la porte fermée, il pria sa femme de lui ouvrir. Elle n’en voulut rien faire et le laissa longtemps se morfondre, comme il l’avait fait à son égard. Le mari insistant et menaçant d’enfoncer la porte, la belle se mit à crier à pleine tête : « Maudit ivrogne, méchant garnement, je t’apprendrai à vivre. Tu ne rentreras pas de ce soir : je suis lasse de ta mauvaise conduite. Je veux enfin te dénoncer à tout le quartier, et lui faire voir l’heure à laquelle tu reviens chez toi ; nous verrons qui de nous deux sera blâmé. »Tofano, furieux du tour qu’elle lui avait joué, ne ménagea pas les injures. Il lui en dit de toutes les façons et cria si fort, que les voisins, éveillés par le bruit, se mirent aux fenêtres pour voir ce que c’était. La femme ne les eut pas plutôt entendus demander le sujet de ce tapage, qu’elle leur répondit d’un ton larmoyant : « C’est ce vilain homme, ce misérable qui s’enivre tous les jours, et qui, après s’être endormi dans les cabarets, revient presque tous les soirs à cette heure-ci. J’ai longtemps patienté, et me suis contentée de lui représenter ses torts ; mais puisque mes remontrances n’ont servi de rien, et qu’il a lassé ma patience, j’ai voulu aujourd’hui le laisser dehors, pour voir si cette correction serait plus efficace. » Tofano, pour se justifier, conta bêtement tout ce qui s’était passé et menaçait sa femme de la maltraiter si elle le laissait plus longtemps à la porte. « Quelle effronterie ! s’écria-t-elle en s’adressant aux voisins ; que dirait-il donc si j’étais dans la rue et qu’il fût dans la maison ? je vous laisse à juger de son bon sens ou de sa bonne foi ! Il m’attribue précisément ce qu’il a fait lui-même ; c’est lui qui a jeté la pierre dans le puits, croyant sans doute me faire peur ; mais je n’ai pas été dupe de sa supercherie, et vous ne le serez point de son mensonge atroce. Plût à Dieu qu’il se fût jeté dans le puits tout de bon pour y tremper son vin ! je ne serais plus exposée à sa brutalité ! Ce misérable me fait souffrir le martyre depuis que j’ai eu le malheur de l’épouser. »Les voisins, tant hommes que femmes, jugeant par les apparences, blâmèrent Tofano et se mirent à lui chanter pouilles de ce qu’il parlait si mal de sa femme. Le bruit fut si grand et courut si vite de maison en maison, qu’il parvint jusqu’aux parents de la belle. Ils se transportèrent aussitôt sur les lieux pour mettre fin à cette querelle. Informés par les voisins de la vérité du fait, ils se jetèrent sur le pauvre cornard et lui donnèrent tant de coups, qu’ils faillirent l’assommer. Après cette belle expédition, ils entrent dans la maison, disent à la femme de ramasser tout ce qui lui appartient ; et, après qu’elle leur a remis ses nippes, ils l’emmènent avec eux, faisant entendre à Tofano qu’il n’en serait peut être pas quitte pour les coups qu’il avait reçus. Ce pauvre diable en fut malade et comprit, mais trop tard, que la jalousie l’avait mené trop loin. Comme il aimait beaucoup sa femme, il fit son possible pour se raccommoder avec elle. Il employa ses amis, qui la lui ramenèrent, sur la promesse qu’il leur avait faite de n’être plus jaloux et d’avoir pour elle toute sorte d’égards. Il porta la complaisance si loin, après qu’il eut fait sa paix avec elle, qu’il lui permit de vivre comme elle voudrait, pourvu qu’elle s’y prît de manière à ne l’en pas faire apercevoir. C’est ainsi que ce mari devint sage à ses dépens. Vive l’amour pour corriger les hommes ! et meure à jamais l’affreuse jalousie qui les fait donner dans tant de travers !
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