mardi 26 octobre 2010

Un détour par l'imagination


Au théâtre, tout est possible et tout peut se construire, si tant est que le spectateur suive et accepte d'emblée les codes qu'on y propose. Et cette remarque n'est pas un résultat du modernisme, du postmodernisme (ni même, voire!, du post-postmodernisme!). De tout temps la convention est invitée sur scène et y construit des mondes fabuleux. Voici, à preuve, un Appel à l'imagination des spectateurs écrit par Shakespeare dans le prologue de son Henry V (dans une traduction, ici, de Marcel Sallé):

Oh! que n'ai-je une muse de feu qui vous mène
Au ciel le plus brillant d'imagination;
Des princes pour acteurs; pour théâtre un royaume,
Des rois pour contempler cette scène pompeuse!
Alors le belliqueux Henry V, en personne,
Prendrait la majesté du Dieu Mars; à ses pieds,
Tels des limiers en laisse, on verrait la Famine
La Guerre et l'Incendie ramper, brûlant d'agir.
Pardonnez, messeigneurs, à nos génies traînants
Qui osent vous montrer sur ces tréteaux indignes
Un aussi grand objet; car cette arène étroite
Peut-elle contenir les vastes champs de France?
Dans ce cercle de bois pouvons-nous entasser
Les casques mêmes qui, jadis, près d'Azincourt,
Effrayèrent les airs? Un petit chiffre tors
Qui prend bien peu de place atteste un million.
De même, humbles zéros dans ce calcul énorme,
Nous ferons travailler la force de vos rêves.
Supposez que l'enceinte de notre théâtre
Renferme en ce moment deux grandes nations
Dont les fronts élevés, dressés l'un face à l'autre,
N'ont pour les séparer qu'un périlleux détroit.
Complétez par l'esprit nos imperfections:
Qu'un homme sur la scène en représente mille.
Voyez en lui toute une armé imaginaire.
Songez, quand nous parlons de coursiers, qu'ils sont là,
Imprimant fièrement leurs sabots sur le sol.
C'est à vous en esprit de mieux parer nos rois
Et de les transporter de-ci, de-là, sautant
Maint intervalle, et comprimant en quelques tours
De sablier les hauts exploits de mainte année.
Laissez-moi vous fournir l'appoint de notre histoire,
Et veuillez nous donner, spectateurs patients,
Oreille favorable et verdict indulgent.

2 commentaires:

  1. «Nous ferons travailler la force de vos rêves.»
    C'est la mission de tous les arts que ce vers exprime.
    Car ce n'est pas seulement le théâtre qui compte ainsi sur les spectateurs.
    C'est aussi toute la littérature qui ne dispose, pour sa part, que des mots pour faire exister des mondes: la plus grande partie des textes se trouve dans l'imagination du lecteur.

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  2. Effectivement!

    Tous les arts se servent de l'imagination pour compléter le monde présenté...

    Toutefois, je pense encore que le théâtre est peut-être l'art (avec la musique)qui demande le plus de ces «conventions» et qu'il exige une plus grande adhérence du spectateur...

    Parce que la littérature peut tout décrire...
    Parce que le cinéma et la peinture peut tout montrer...

    Je leur dénie pourtant pas la force de créativité dans l'esprit du public quel qu'il soit...

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